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Sommes-nous les jouets des dieux ?
Dans ce forum RP, des rencontres crues impossibles pourront avoir lieu
entre d'illustres ressuscités et des personnes de notre siècle

 
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 Fin ou début?

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Isabel Kittredge

Isabel Kittredge


Messages : 26
Date d'inscription : 02/02/2013

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MessageSujet: Fin ou début?    Fin ou début?  EmptySam 27 Avr - 20:18

Accusée, levez-vous !

Pâle et défaite, Isabel obéit face à l’honorable juge Reed qui, impavide, lut le verdict du jury :

Suivant le chef d’accusation sur la responsabilité : coupable ! Sur la préméditation : coupable.
Quant aux circonstances atténuantes, aucune n’a été retenue. En vertu des pouvoirs qui me sont conférés, je déclare l’accusée coupable de destruction volontaire ayant entraîné la mort de vingt des nôtres. Miss Kittredge, un dernier mot avant la sentence ?


JE N’AI RIEN FAIT !
hurla-t-elle en tentant d’échapper aux mains qui la freinaient dans son élan de se jeter en avant.

L’autre poursuivit, imperturbable :

Conformément aux nouvelles lois régissant ces lieux, la coupable sera jetée au fleuve. Justice sera rendue demain à l’aube. Emmenez-la !

ALPHA ! ALPHA ne les laisse pas faire ça ! Je n’ai rien fait…

Un léger direct au menton sonna la forcenée qui fut traînée au cachot sous crachats et dédain général.
Reprenant conscience dans la geôle obscure, Isabel n’eut qu’une pensée :


*Plutôt mourir que de subir son mépris*

Alf, son Alpha la haïssait, les autres aussi.
Pourtant tout allait si bien…


De nombreux jours avant

L’homme du futur l’affolait tant que Miss Kittredge aurait été stupide de se refuser à lui. Néanmoins, fidèle à ses principes, elle avait réclamé une officialisation de leur union. Le pauvre Ayerling s’avéra plus futé que prévu et réclama son dû avec un aplomb inattendu. Prévenue par sa cousine des douleurs de l’ouverture de la chair, Isabel eut très peur de sa première fois. Mais Alf ne la força en rien. Par tâtonnements maladroits mais jouissifs, les barrières cédèrent dans une communion extrême. Elle crut tout ce qu’il lui débita dans sa satisfaction :

Je n’aurais jamais pensé que cela pouvait être si…intense ! Si ceci est aimer…je t’aime…je veux être à toi, rien d’autre…je t’appartiendrai à part entière et tu pourras faire de moi ce que tu voudras…

Belles promesses !
Si elle avait été plus finaude ou profiteuse, elle aurait pu le faire tourner en bourrique. Loin d’elle pareille idée. Seulement… Il manquait tant de choses à l’Ayerling ! Ce n’était pas de sa faute, c’est de la sienne à elle, elle s’en persuada. Dîners en tête-à-tête aux chandelles n’émouvaient pas l’homme du futur, de même que des bains nocturnes sous la lune, poésies lues sur l’oreiller ou simple ballade main dans la main alentours. Jamais elle ne captait son attention sauf pour passer à l’action, et Dieu sait s’il y avait pris goût en usant – abusant – de son droit d’époux.
De plus, chose grave aux yeux de la fraîche épousée, il la dédaignait sans cesse pour vaquer au projet insensé du dirigeable né du cerveau d’Amelia Earhart. Projet qu’il essaya de lui expliquer à force de l’asticoter afin d’en savoir davantage :


C’est pourtant élémentaire, avec ce simple système…on s’élève et on descend à volonté en contrôlant la force de gravitation qui nous retient sur la terre…

Il se plaignait de ne pas recevoir autant que voulu de la Pierre.


*C’est qu’elle juge ce projet vain…*


Elle garda ses réflexions pour elle.
Partir en compagnie de son élu l’agréait mais… la voie des airs la répugnait. Dix fois, cent fois, elle tenta de lui donner son avis. Cependant, trop crevé ou préférant « jouer » avec elle, son mari coupait court à ses propos. Elle en vint à détester ce qui se construisait lentement aussi que sûrement.
Des dizaines de bonnes volontés avaient été recrutées. Tous les artisans du cru se joignirent au plan même s’ils n’y pigeaient à moitié rien. Elle fit la part attendue : coller des bandes d’un tissu inconnu en vue d’en vêtir une immense armature en construction.
Un jour, elle eut droit à une attention de la part d’Alpha :


Nous ne retournerons plus à la Colline…il serait bon de refaire notre habitation…

Il prétexta ne pas être douillet, simplement désireux d’un meilleur cadre de vie avec douche, et tout le toutim. Puis :

…je ne veux pas m’imposer…veux dormir confortablement…Au fait, j’ai quelque chose pour toi…

*Enfin ???*

Comme cadeau, le bougre avait fait fort ! Où avait-il été dénicher deux alliances en or ?
Cette nuit-là, Alf eut droit au grand jeu, sans aucune contrainte ni remords.


Maudit, maudit projet !
Alpha passait le plus clair de son temps avec Amelia, Louis ou les artisans tout en veillant à la milice.
Des changements, améliorations ou autres avaient progressivement vu le jour. Ainsi, le nouveau camp se dotait d’une cour de justice. Mal nécessaire pour trancher sur les larcins, viols – hélas – ou divers manquement au nouvel ordre établi par Achille et son futur successeur : Sven, le Viking.
Grâce à Louis, parfois, des réjouissances avaient lieu. Musique, bal, jeux divertirent les soirées en recréant des nuances festives perdues à jamais. Néanmoins, Isabel n’était pas heureuse.
Plus le projet prenait forme, plus elle paniquait.
Un jour, elle craqua contre l’épaule de Burton, le dernier pourtant à se montrer réceptif aux soucis des autres. Elle participait alors à l’approvisionnement en tirant à l’arc. D’ordinaire si précise, elle rata encore un tir et ne put s’empêcher de se lamenter :

M’en fous de rater… je crois que c’est parce que je ne veux pas partir. Pas ainsi, pas dans les airs… mais Alf tient tant à ce projet ! J’ai essayé de le lui dire… il serait si déçu, avoua-t-elle entre deux sanglots.

Étonnamment compatissant, Richard lui avait fait alors rencontrer un de ses protégés, une en fait.
Noy était une jeune femelle éléphant âgée d’à peine trois ans selon un des rares cornacs survivants. D’avoir été soignée par Richard puis donnée à Isabel fit de cette dernière sa maîtresse à part entière. Un peu réticente au départ, ne sachant que faire avec le « cadeau » de Burton, Isabel prit bientôt beaucoup de plaisir à passer de longues heures avec le pachyderme. Le monter était presque enivrant, le diriger encore plus. Grâce à Noy débroussailler le terrain allait vite et les bûcherons la secondant, le chantier vit ses provisions de bois augmenter sans mal. Ainsi, si on reprochait à Isabel de ne plus participer au projet, on se trompait mais elle ne dit rien à son mari de sa nouvelle fréquentation. Lui, du moment qu’elle était à sa disposition quand l’envie lui prenait, c’était bon. Il se fichait complètement de ce qu’elle fabriquait le reste du temps, tout comme les autres auxquels elle parla rarement, tant tous étaient occupés avec la « folie » d’Amelia.
Souvent, elle regretta son isolement avec Alpha, lorsqu’ils n’étaient que deux à errer sur cette Terre étrange. Mais là non plus, elle ne dit rien, se contentant de jouer à l’épouse dévouée, telle qu’elle l’aurait été à son époque.
Le seul qui sembla remarquer son manque d’allant fut Tsang à qui elle prêtait parfois des coups de main car les accidents de chantier étaient fréquents.


Mari tu voulais, mari tu as… étrange il est, certes. Toi, pas bon professeur…

Quel idiot ! Comment enseigner des choses qu’elle ignorait elle-même ?

Plus les jours passaient, plus le projet prenait forme… plus l’échéance approchait, la torture grandissait. Elle commença doucement à penser saboter quelque chose qui ralentirait l’inévitable.
En douce, elle chipa quelques pièces de tissu qui, hélas, furent vite renouvelées. Des outils disparurent aussi mais le projet avança quand même.
Puis, il y eut ce terrible orage. Alf étant de garde dehors, au lieu d’aller travailler à l’assemblage des tissus, à genoux dans leur nid douillet elle priait avec ferveur, réclamant une solution à ses problèmes, quand le tonnerre approcha.

*Il va se faire tremper en soupe !*


Elle prit la torche du futur, un truc bizarre où brûlait un feu sans chaleur, et sortit dans la nuit pour apporter une protection à son mari. Un fort rideau de pluie gêna sa progression d’autant que le terrain détrempé l’engluait. Alors qu’elle passait près du hangar où l’engin se construisait, une glissade la projeta au sol avec sa lampe, sa tête heurta violemment un caillou. Au même moment la foudre frappa la structure en bois qui s’embrasa aussitôt au niveau de la porte. Se relevant, sonnée, elle ne put, qu’impuissante, assister au drame. Cris, appels, le chaos régnait. Une chaîne de seaux s’organisait pour tenter de sauver les ouvriers de nuit qui étaient pris au piège. En état de choc, elle y participa machinalement.
Ce fut une nuit de cauchemar.

Blessée, rompue de fatigue, elle ne put assister à la fouille des restes du hangar. La douche lui fit un peu de bien. En peignoir, lissant ses longs cheveux humides, elle contemplait son reflet dans le miroir sans le voir vraiment quand Alf surgit dans leur abri. Il avait l’air hagard, catastrophé.
Trempé, maculé de boue et de suie, il la releva de sa coiffeuse et l’étreignit à l’étouffer.


… mais oui, je vais bien… je viens de rentrer dit-elle comme un automate.

Il s’était follement inquiété, la croyant à l’intérieur de l’atelier.

… non, je n’y suis pas allée ce soir. J’ai préféré prier puis… C’est bizarre j’ai comme un trou de mémoire… Ça ? ( il désigna la bosse près de sa tempe qu’elle toucha, surprise, en grimaçant de douleur) Euh, je sais pas…

Il parut intrigué mais était tant énervé par ce qui s’était passé dehors qu’il se mit en devoir de lui raconter les faits évalués :

… des victimes ? Combien ?...

On ne savait pas encore le nombre exact. Il l’embrassa, lui ordonna de se coucher et repartit dans la nuit.
Avec un affreux mal au crâne, elle s’écroula sur leur couche.
L’avait-il rejointe sans la déranger ? Elle n’en sut rien. Mais au matin, ce fut deux gars de la milice qui vinrent la sortir du lit :


DEBOUT ! Nous devons vous interroger sur cette nuit !

Derrière eux se tenaient Sven, Richard et Alpha ; tous l’air grave, accusateur. Son mari avait un mal fou à maintenir une Artémis furieuse qui, même entravée, restait menaçante pour les tourmenteurs de sa maîtresse.
En robe de nuit, pieds nus, Isabel fut traînée jusqu’à la geôle où on la boucla en dépit de ses protestations véhémentes. Elle ne comprenait rien, et nul ne la renseigna avant des heures pénibles à greloter dans un coin aussi sombre que sale.
Enfin, Hélène et Sissi se pointèrent avec pichet d’eau, quignon de pain et couverture.

Qu’est-ce qui se passe ? Où est Alf ? Il n’est même pas venu me voir…

Sa détresse les émut, Isabel reçut pourtant une fameuse douche froide par des réponses qu’elle jugea dénuées de sens. Pesaient sur elle de lourdes accusations. Elle serait responsable de l’incendie ayant détruit plus de la moitié du hangar et provoqué la perte de vingt des cinquante ouvriers du chantier, sans compter les blessés.

… C’est ridicule ! Enfin, vous me connaissez ! Jamais je n’aurais fait une chose pareille, voyons !... Je n’ai rien fait de mal, vous me croyez, non ?

Impossible de déterminer si oui ou non ; un garde força ses visiteuses à sortir.
Quelques minutes plus tard, on la poussa dehors pour la conduire dans un cabanon jamais testé avant où un brasero répandait une puissante chaleur. S’y trouvaient trois hommes à la mine hautement rébarbative. La peur aux tripes, Isabel tremblait mieux qu’une feuille par grand vent. Pour se rassurer, elle se persuada qu’Achille n’aurait pas permis qu’on la violente. Après tout, elle n’était qu’un suspect dans l’affreux drame. Elle déchanta vite au ton employé par l’homme au teint basané :


Je te présente Arnold Shwartz, qui a bien connu un certain dr Mengele…. Ça ne doit rien te dire mais tu pigeras vite ! L’autre, c’est Li Conghuan, ancien commandant de la garde d’un illustre empereur. Et je suis Fray Domingo de Mendoza, grand inquisiteur sous sa sainteté Innocent III ! J’en ai maté de plus fortes que toi, sorcière !

Là-dessus, il souleva la bâche qui couvrait la table d’à côté. Sous se yeux écarquillés d’horreur, Isabel entrevit la panoplie du parfait bourreau.

Comprends-tu ce qui t’attend si tu n’avoues pas… ?


Je… je… n’ai rien à avouer… je n’ai rien fait…

Toutes pareilles !


D’un signe aux deux autres, ceux-ci empoignèrent la jeune femme qui n’eut pas le temps de se débattre avant de se retrouver avec les poignets ficelés suspendue à une poulie. Là, elle se mit à hurler sa terreur. L’Allemand à la carrure impressionnante lui fourra un bâillon dans la bouche tandis que le Chinois déchirait le dos de sa robe de nuit. Avec délectation, l’Espagnol saisit le fouet qu’il mit sous le nez d’une accusée en larmes.

Signeras-tu des aveux complets sous ma dictée ?

Isabel sentit l'urine dégouliner le long de ses cuisses mais dans un sursaut, elle hocha négativement la tête. Dans le brouillard de ses larmes, elle vit une lueur de satisfaction éclairer la face barbue de l’inquisiteur. Les coups plurent avec une régularité savante. Le dos d’Isabel fut de feu et de sang. La pauvre torturée tenta d’échapper au moins mentalement à ses souffrances. Elle pria tant qu’elle put son Dieu, son mari, ses amis… Nul ne répondit.
Un pichet d’eau jeté à la figure, la réveilla. Elle était de nouveau assise à la table.


Vas-tu écrire maintenant ? grinça Schwartz.

Je… je peux pas, souffla-t-elle. Je … ne me souviens pas…

Ceci t’aidera peut-être à te rappeler,
lui sourit sadiquement Mendoza en exhibant une pince à arracher les dents. Isabel qui était très fière de sa dentition sentit ses forces l’abandonner.

NOOON ! Je… je signe tout ce que vous voulez…


D’une écriture hachée, elle couvrit un parchemin de tracés incertains. Quand elle eut apposé sa signature, L’inquisiteur lui arracha le papier qu’il relut à haute voix :

Moi, Isabel Kittredge, reconnait par la présente, être l’auteur de tous les faits qui me sont reprochés. Je ne mérite aucune clémence mais demande pardon à Dieu et à ceux que j’ai blessés.


C’est très bien, sourit l’Espagnol avant de la gifler à la volée. Ça, c’est pour avoir réagi si vite et gâché notre plaisir !


Rouée de coups, elle fut ramenée au fond de sa geôle.

De… de l’eau… s’il vous plait… de l’eau…

Semi-consciente, elle s’étonna de la douceur du rap sur lequel elle était allongée. Le brouillard de sa vision s’éclaircit quand une main lui releva le menton pour verser un peu de liquide entre ses lèvres desséchées.

Doucement, mon enfant !... là, c’est bien. Tsang veille, dors.

Le moine soupira tristement en regardant Isabel repartir dans les limbes. Il avait été horrifié lorsque Burton, flanqué des reines, lui avait amené le paquet ensanglanté tiré de la prison. Hélène et Sissi avaient aidé aux soins tandis qu’un Burton furieux était parti régler des comptes.
Peu importaient les remous extérieurs de cette triste affaire. Là, une jeune femme souffrait dans sa chair mais aussi dans son cœur. Combien de fois dans son délire ne l’avait-il pas entendu appeler son mari ? Fermé à tous propos, l’Ayerling semblait emmuré dans sa tour d’ivoire ; il ne vint pas la voir.
Deux jours plus tard, Tsang ne put empêcher la finalisation du procès. Il tenta bien de faire passer Isabel pour plus mal en point qu’elle n’était mais, dénoncé par une « infirmière » adjointe, on lui retira sa patiente pour l’emmener au pseudo tribunal.

Le « procureur » n’était autre que Frey Domingo de Mendoza, son bourreau. Le juge Reed avait, dans son temps, été greffier à la cour de justice de Londres. Un jury, composé de douze habitants, toisait l’accusée avec dédain.
Pour la forme, Isabel avait droit à un avocat. Richard s’y colla, aidé d’un roi-soleil pas très en forme.

Les débats s’ouvrirent rapidement avec la harangue du procureur :

Mesdames, messieurs, vous allez avoir la lourde tâche de déterminer si oui ou non, cette jeune sorcière… pardon, cette jeune femme, est responsable de l’incendie du hangar où périrent vingt des nôtres. Ces gens étaient des volontaires enthousiastes, plongés dans un projet audacieux qui agréait tout le monde… tout le monde, sauf l’accusée, nous le démontrerons.

Au tour de Richard d’intervenir. Il fit ce qu’il put pour atténuer les propos de son adversaire en insistant sur le fait que personne n’avait vu Isabel mettre le feu, qu’elle s’était toujours dévouée au projet et que ses aveux lui avaient été extorqués sous la torture si bien que la cour les avait finalement rejetés.

On auditionna des témoins des deux parties avec attention. Côté accusation, il fut démontré qu’Isabel avait volé du matériel à plusieurs reprises et qu’elle disparaissait de longues heures dans la forêt ! Burton eut toutes les peines du monde à expliquer ces larcins et absences. Il crut bon de faire témoigner Tsang :

… Oui, elle fouettée par sauvages et battue… En effet, une plaie antérieure à la tête il y a… possible amnésie, très possible… ai donné potion… effet lent.

Isabel qui, jusque-là, était restée amorphe en constatant l’absence d’Alpha dans la salle, eut une sorte d’illumination. Elle accrocha le bras de Richard :

Je me souviens ! Fais-moi témoigner ! Fais-le !

Cette idée n’enchantait pas particulièrement Burton qui, vu l’insistance, remercia Tsang pour l’échanger contre Isabel. Il ne lui posa qu’une question à laquelle elle répondit :

Voilà ce dont je me souviens sur cette nuit-là…


Sans rien omettre, elle raconta l’histoire jusqu’à son arrestation. Immédiatement, Frey Domingo de Mendoza attaqua :


Vous n’êtes donc pas allée travailler comme supposé ?


Non, j’ai prié.


Prié pourquoi ? Pour que le doigt divin frappe le bâtiment ?


Isabel commit l’erreur de se troubler, l’autre en profita :

Voyez sa tête ! N’est-ce pas culpabilité ? Avouez que vous détestiez ce projet de ballon ! IL Y A PRÉMÉDITATION ! Oseriez-vous prétendre ne pas tout avoir tenté pour qu’il échoue ?

J’ai, euh… je voulais le ralentir…

POURQUOI ? Allez, un petit effort ! POURQUOI ?

Parce que… parce que… ça me fichait une trouille bleue ! pleura-t-elle. Mais, je jure n’avoir jamais eu l’intention de provoquer…

UN DRAME ! Une affreuse tragédie qui a coûté vingt vies innocentes ! Personnellement, je crois que vous vous en fichiez des victimes ! Vous vouliez saboter les installations et, hélas, vous n’y avez que trop réussi !

Il se tourna vers le jury :

Voyez cette criminelle ! Elle préméditait son coup ! Elle a bâclé ses tâches, volé, triché, dupé jusqu’à son mari, le noble guerrier du futur ! Cherchez-le, il n’est pas là. Pourquoi ? Parce qu’il sait qu’elle est coupable et ne supporte plus sa vue ! En vérité, je vous le dis, cette femme est une meurtrière doublée d’une sorcière car, je n’invente rien, elle parle aux animaux. Elle seule est capable de dompter ce fauve qu’elle nous a imposé et que l’on a été forcé d’encager tant il est devenu féroce, sa maîtresse éloignée. Mr. Burton a produit des bûcherons qui affirment qu’elle parle à un éléphant pris à l’ennemi. Alors ? ALORS, LAISSERONS-NOUS UNE TELLE CRÉATURE DÉMONIAQUE SÉVIR PARMI NOUS ?

Tout était dit. Si d’autres débats s’ouvrirent, Isabel n’entendit rien. Une flèche l’avait mortellement atteinte avec la défection évidente d’Alpha, son Alpha. Lui perdu, peu lui importait la suite.
Pourtant, quand le juge Reed prononça le verdict, elle eut un ultime sursaut :


JE N’AI RIEN FAIT !

Sa dernière nuit se passa en prières. Un verrou se tira, elle reçut la visite groupée des seuls qui avaient cru en elle.

… Oh, Louis, tes beaux cheveux… Merci Richard d’avoir essayé. Amelia… ? Ah, je comprends… Sissi, Hélène, j’aurais voulu ( sanglots) Prenez soin d’Artémis, s’il vous plait. Ce fou est capable d’exiger qu’elle soit… Dites merci à Tsang qu’il fasse attention à Léontine ! Et, rendez ceci à Alpha… veillez sur lui.

Elle leur remit son alliance d’or puis, trop bouleversée, les laissa partir.


Dans l’aube grise une longue passerelle se dressait depuis la berge jusqu’à un endroit profond du fleuve éternel. Une foule compacte se massait sur la rive afin d’assister au trépas de la fautive. Poignets entravés, en longue chemise blanche, Isabel marcha vers l’extrémité, deux sbires l’encadrant. Ses pieds nus furent lestés de pierres de poids conséquent. Lentement, la condamnée se tourna vers l’assemblée. Sissi, sous bonne garde, pleurait dans les bras d’une Hélène éplorée. Richard, fermé, broyait le bras d’Amelia qui regardait obstinément ailleurs. Point d’Achille, sans doute encore à la Colline où le devoir l’avait appelé. Au premier rang, elle reconnut Sven flanqué du procureur et de…

ALPHA ! hurla-t-elle avec froideur. TU VIENS ME VOIR CREVER ? J’attendais tout autre chose de toi, mon « époux » ! TU N’ES PAS HUMAIN, ALF ! TU NE LE SERAS JAMAIS sauf, peut-être, si tu te fais opérer du crâne ! J’aurais préféré ne jamais, jamais te connaître ! ADIEU !

On ne dut pas la pousser à l’eau. Volontairement, écartant les bras, elle se rejeta en arrière, et coula à pic…
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Alpha 247

Alpha 247


Messages : 433
Date d'inscription : 28/01/2013

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MessageSujet: Re: Fin ou début?    Fin ou début?  EmptyLun 29 Avr - 15:13

Un maître ! Un devoir ! Une unique loyauté ! Du moment de sa création à celui de sa mort, l’Ayerling Alpha 247 n’avait connu qu’une loi : celle de la toute présente et omnisciente Fédération Coloniale et c’était très bien ainsi.
Renaître sur un rivage inconnu, en milieu hostile, n’aurait rien dû changer. Il existait dans un seul but : lutte et survie. Pas les siennes, celles de la Fédération. Que celle-ci n’existe plus en ce monde étrange ne devait signifier qu’un Ayerling cesse d’en être un.

Mais son chemin avait croisé celui d’Isabel Kittredge.


TU N’ES PAS HUMAIN, ALF ! TU NE LE SERAS JAMAIS…

Elle n’avait pas tort. Aucun. Il avait défié la logique de son existence, voulu croire que ce serait facile d’assumer une humanité pour laquelle on ne l’avait pas créé. Lourde erreur. Temps de reprendre le contrôle de cette débandade absurde de pseudo-sentiments incompris. Si ceux qui l’entouraient en ce moment final croyaient voir en lui l’incarnation de la plus froide indifférence, ils n’étaient pas loin de la vérité, mais au moment où retentit le dernier adieu, avant de disparaître dans les flots profonds, l’Ayerling eut l’atroce sensation de se briser en deux. Le faible indice d’humanité qu’elle avait si bien su éveiller en lui, clamait sa douleur, mais la logique rationnelle prit le dessus avec un effort de volonté, enrayant la faiblesse.
Justice faite, le spectacle finit. Il n’avait aucune intention de s’attarder mais n’alla pas bien loin sans croiser deux des Maîtres de la Colline et leurs épouses. Aucun n’eut idée de prononcer quelque mot de condoléance, sans doute son expression impénétrable les fit déroger de l’idée. Richard grommela quelque chose qu’il ne saisit pas. Amelia resta coite. Louis ne se priva pas d’un commentaire de sentencieuse rigueur alors que sa femme, Hélène lui adressa un regard haineux. Elisabeth avait les larmes aux yeux en lui remettant l’alliance d’Isabel et assurant que celle-ci l’avait aimé jusqu’à son dernier souffle. Il ne ressentit aucun besoin de parler, avec un sec hochement de tête, il fit demi-tour et s’éloigna.


« … sauf, peut-être, si tu te fais opérer du crâne ! »

*Qu’est-ce qu’elle a voulu dire par là ? Que peut avoir mon crâne à voir dans tout cela ?...Sans doute une de ses idées bizarres.*

N’empêche que ces mots la taraudaient. Pourquoi ce message cryptique ? Un dernier sursaut de désespoir ? Il voulut penser que c’était cela mais continua à y penser tout en essayant de chasser les derniers relents de cette faiblesse sournoise qui luttait pour reprendre le dessus.

*Les preuves ne mentaient pas. Elle était coupable et a reçu sa punition.*

Pourquoi cela faisait autant de mal, alors ? Artémis, enfermée dans une cage, émit un feulement enragé en le voyant approcher. L’Inquisiteur avait insisté pour exposer l’animal à la vue de tous, sans dire quel était son dessein mais il ne fallait pas faire de grands efforts d’imagination pour deviner qu’il ne cherchait qu’à exacerber l’idée de que seule une association diabolique avait pu permettre à Isabel d’avoir absolu contrôle sur le fauve. Alpha resta un instant face à la cage, son regard braqué dans celui de l’hybride qui se calma.
Fray Domingo de Mendoza ne rata pas la scène. Il se gaussait de son succès lors du procès contre celle qu’il nommait « sorcière » et avait supposé comme acquise la bienveillance d’un mari qui n’avait pas bronché alors qu’on condamnait sa femme. Admirable force de caractère, droiture d’âme et autres vertus. Un homme comme celui-là méritait d’être statufié comme exemple, à son avis de redresseur d’âmes.

S’il songea faire étal de son admiration, mal lui en prit, avant d’avoir pu ouvrir la bouche, l’Ayerling se tourna vers lui et l’impassible froideur de ses yeux parvint à lui faire courir un frisson de crainte le long de l’échine. Il eut un ordre bref, cinglant. La cage fut ouverte et se signant à plusieurs reprises, l’Inquisiteur suivit des yeux le guerrier s’éloignant flanqué du fauve docile. Il voyait le diable, arrogant, beau, inhumain.

Il n’était pas retourné sous « leur » tente depuis le matin de l’arrestation. Le lit, tel qu’elle l’avait laissé en se levant pour être entraînée en prison, gardait, froid, son arôme à savon, fleurs et soleil. Alpha s’assit au bord, figé. Incapable de penser, il venait de réaliser avoir encore l’anneau d’or dans sa main. Il n’avait pas ôté le sien.

*Tu es un Ayerling, ceci n’aurait pas dû être…mais a été. Fini. Terminé. La logique doit primer !*

Mais en ce moment, la logique lui provoquait une migraine épouvantable. Il n’avait pas souvenir de sa dernière nuit de sommeil et la fatigue l’abrutissait. Artémis s’assit face à lui, ses yeux dorés le fixant intensément, il pouvait y lire blâme et rancœur.

Je ne pouvais pas faire autrement…Elle était coupable.

Il voulut toucher l’animal mais celui-ci se rebiffa avec un grondement sourd avant de réagir de manière inattendue et le mordre. Alpha ne se défendit pas. L’hybride lâcha rapidement prise. La main lacérée saignait profusément. Il resta là, à regarder le sang couler, sans rien faire.

Tsang soigner ça !

Il ne l’avait même pas entendu entrer. Sans se trouver l’esprit ni l’envie de discuter, l’Ayerling laissa que le moine s’occupe de sa main.

Toi, dormir. Cœur souffre, corps éreinté.

Le cœur n’est qu’un muscle qui pompe le sang, rien d’autre.

Ton avis. Alors pourquoi avoir air si défait ?


Je suis fatigué, c’est tout. Que viens-tu faire ici ? Je n’ai aucun besoin de tes soins.

Tsang soupira, pour une fois son sourire perpétuel semblait effacé laissant place à une profonde commisération.

Mon cœur, lui, souffre. Elle manque à Tsang. Injustice atroce a été commise, tu dois chercher la vérité.

C’est toi le Chercheur de la Vérité Ultime. Elle a fauté, les preuves étaient évidentes.

Elle t’aimait et avait peur.

Et au lieu de s’exprimer, elle s’est tue et a commis un crime. Mauvaise façon de s’y prendre. Je suis un Ayerling, ma loyauté est pour la justice.

Tu étais son mari. Ta loyauté devait être pour elle.


Je me suis trompé. Je n’aurais pas dû.

Si Tsang n’avait pas été un pacifiste acharné, il aurait pris plaisir à le rouer de coups pour le faire revenir à de meilleures considérations, mais le guerrier semblait au-delà de toute atteinte. Fermé comme une huître, il se réfugiait dans les préceptes tant rabâchés par ses créateurs, laissant s’éteindre sa dernière étincelle d’humanité véritable.

J’ai entendu ses paroles dernières…sur ton crâne.

Alpha secoua lentement la tête.

J’ignore ce qu’elle a voulu dire.

Tsang lui, croit savoir…mais en attendant, bois ceci.

L’Ayerling ne protesta pas et vida, sans respirer, le contenu du bol présenté. Une chaleur bienfaisante l’engourdit aussitôt.

Toi dormir maintenant.

Alpha regarda le lit défait sans pouvoir éviter un frisson d’horreur mais déjà avec plus de force qu’il ne semblait avoir, le moine l’obligeait à s’allonger. Sa tête retomba sur l’oreiller. Percevoir le doux parfum d’Isabel lui tira un râle d’angoisse. Tsang en eut le cœur serré mais en le voyant se redresser le repoussa à sa place.

Toi restes là. Affronte la réalité, mesure la vérité, décide ce que tu es.

Mais que voulait-il ? Une révision entière de ses principes ? Un « mea culpa » approfondi de ses erreurs ? Une mise à nu de son âme, au cas d’en avoir une ? Quoiqu’il en soit, Alpha avait l’impression que ce lit le retenait, l’absorbait. Tout essai d’en échapper se solda par un échec, son corps devenu de plomb, refusant d’obéir, il était à la merci de Tsang qui l’observait attentivement, une lueur chagrine dans ses yeux plissés si enclins pourtant à sourire.

Étrange tu es car on t’a appris autrement mais bon fond tu as. Cesse la lutte pour accepter ce que tu es maintenant. Tu n’es pas coupable d’erreur, on a mis sous tes yeux des preuves incontestables et tes propres doutes ont aidé. La faute d’Isabel était grande mais pas celle dont on l’accusait. Grande peur l’habitait et tu n’as pas su comprendre.

Elle est morte, moine, tout comme si je l’avais moi-même poussée dans le fleuve. Tu l’as dit, je n’ai pas su comprendre…Je n’ai jamais rien pigé…j’ai essayé de correspondre à ce qu’elle voulait. J’ai tellement lu, sans y voir clair…demandé des explications…J’ai voulu être ce que je ne suis pas…On ne défie pas la réalité…J’existe, c’est tout. Œuvre vivante, en chair et os, d’apparence humaine mais ceux qui m’ont fait ont oublié l’âme…on n’en avait pas besoin.

Le moine opina du chef en donnant des petites tapes sur la tête blonde de l’Ayerling.

Grande confusion, là…Penses, existes, es…Âme présente, toujours. Tu n’as pas saisi le concept, c’est tout !

Concepts, notions, préceptes, nuances, ambivalences. Tout valsait en grande embrouille dans son cerveau fatigué. Abstraire, soupeser, comprendre, conclure. Il s’en sentait incapable. Il avait mal d’essayer, de lutter contre nature. Son accablement physique se mêlait à une douleur indistincte, insidieuse, paralysante.

Fais-moi mourir, souffla t’il, vaincu.

Non. Tsang aide à vivre. Dors maintenant.


Il ne pouvait autrement. De rien ne servait se débattre contre la torpeur absurde qui fermait ses yeux, le déconnectant de la réalité. Tsang attendit un moment, question de s’assurer que le guerrier était bel et bien parti vers quelque limbe miséricordieux avant de se pencher vers lui et entamer un examen consciencieux de son crâne. Les derniers mots d’Isabel n’étaient en aucun cas fruit du désespoir, ils avaient voulu transmettre un message. Lequel ? À lui de le découvrir, étant donné que le guerrier semblait incapable de s’en charger lui-même. Le moine laissa courir ses doigts experts sur toute la surface de ce crâne parfait jusqu’à parvenir à la quasi imperceptible excroissance à l’occiput. Connaissant à la perfection l’anatomie d’un crâne humain, Tsang n’eut aucun mal à déduire que ce que ses doigts palpaient n’avait rien à voir avec l’œuvre de la nature. Écartant soigneusement les cheveux, il se munit d’une loupe, ineffable don de la Pierre et procéda à un examen rapproché de sa découverte. Ses conversations avec Alpha lui avaient permis d’entrevoir un monde extraordinaire où science et technologie avaient atteint des sommets insoupçonnables. Le guerrier en était la preuve vivante. Une créature de laboratoire, faite pour servir inconditionnellement ses maîtres.

Contrôlaient la vie, dominaient l’instinct, éteignaient les émotions…monstrueuse connaissance qui avilit la nature, soliloqua le moine, parcouru d’un frisson, mélange de rage impuissante et horreur, il doit savoir…doit décider, lui.

Le profond sommeil, induit par la potion dura le temps nécessaire pour que le guerrier retrouve forces et une certaine lucidité. Tsang, patient comme une mère dévouée, avait attendu à le voir ouvrir les yeux et se redresser sur la couche, confus.

Tu m’as fait dormir, accusa t’il.

Impératif c’était. Tsang sait, maintenant.

Et de se lancer calmement dans un exposé de sa trouvaille, son idée à ce sujet et l’indiscutable soupçon qui le taraudait. L’Ayerling écouta sans intervenir, ni démontrer la moindre émotion.

Toi savoir ?

Non. Pas exactement.

Voilà de quoi donner un nouvel élan à l’idée qui courait dans la tête du moine. Impossible douter de la bonne foi du guerrier, qui entre autres, méconnaissait l’art du mensonge. Si Tsang voyait juste, le corps étrange logé dans le crâne d’Alpha devait avoir une incidence directe avec sa façon d’être. S’il se trouvait, celle-là était une des manœuvres de haute technologie futuriste destinée à contrôler les agissements d’un être humain, le transformant en une espèce de machine dénuée de sentiments. Restait à savoir ce qui pourrait se passer une fois « l’intrus » ôté.

Risque dois courir si devenir vraiment humain tu veux.

Ce qu’il lut dans les yeux si bleus de l’Ayerling n’avait rien à voir avec colère ou contrariété, cela tenait plutôt du chagrin voilé mais surtout de douloureuse indifférence. Son haussement d’épaules affirma cela.

Toi vouloir ? Tsang doit savoir…toi vouloir ?


Que veux-tu, moine ? Je n’en sais rien…à quoi bon, d’ailleurs ? Elle l’aurait voulu mais n’est plus…

Habilement le sage saisit la chance présentée. Certes le pauvre homme nageait dans la confusion la plus épaisse, mais pensait quand même à son Isabel, qui avait su si bien remuer les arcanes technologiques du futur pour l’atteindre.

Elle t’a aimé tel que tu es mais rêvait de te voir devenir vraiment humain.

La voix de Louis, demandant la permission d’entrer coupa court l’entretien. Un instant plus tard, le roi communiquait au guerrier qu’Achille, enfin de retour, demandait à le voir séance tenante. Sans rien dire, Alpha suivit le Quatorzième du nom pour une fois plongé dans un silence mitigé.

Sous la tente de l’Etat-Major, le prince des Myrmidons faisait démonstration d’une de ses colères mythiques. Blême de rage, il invectivait tout qui lui tombait sous les yeux. Sven, la tête basse, subissait. Richard écoutait mais n’avait pas l’air à l’aise, non plus. Les autres, se tenaient le plus loin possible. On n’entendait que la voix furieuse du grec demandant des explications, maudissant tout ce qu’il y avait à maudire. Quand Alpha entra, le guerrier antique se tourna vers lui, l’œil étincelant, ses paroles cinglantes auraient fait chanceler le plus averti mais l’Ayerling ne broncha pas. Achille ne mâchait pas ses mots et les rendait tous coupables d’un exécrable emploi de la justice. Sa profonde vindicte s’adressait surtout à l’époux de la défunte et à son manque d’humanité, qu’il était prêt à qualifier de tous les noms. Hors de lui, le grec s’avoua déçu, lésé, trahi presque par ceux en qui il avait déposé sa totale confiance. S’il eut envie de le frapper, Achille maitrisa sa rage, en croisant le regard insondable de l’homme du futur.

Chaque parole ressemblait à un coup de marteau furieux sur l’enclume. Richard avait fait arrêter les trois sombres individus qui avaient orchestré le jugement et précipité les faits de manière concluante, jouant de leurs nouveaux droits et faussant certaines évidences qui, présentées de maîtresse façon, avaient abouti à une condamnation sine qua non.
Louis parlait d’une boule de feu lors de l’orage. Un phénomène naturel rare mais prouvé. D’autres avaient été prêts à donner leur version des faits mais nul n’avait voulu les écouter. Le messager envoyé quérir Achille à la Colline n’était jamais arrivé à destination…
Tous avaient leur mot à dire. Leur grief à élever, alors que dans sa tête se répétaient les cris d’Isabel plaidant innocence. Il n’avait pas pu y croire. Une atroce méprise avait eu lieu. Sa méprise. Sa logique imprenable ne lui avait certainement servi de rien face à la perfidie d’autres qui maniaient si bien l’ignorance naïve du reste. La sienne inclus. Un malaise absurde l’investissait et pas un mot de sortit de sa bouche. Les autres le dévisageaient et même méconnaissant les arcanes de la nature humaine, il put percevoir leur mépris.

Sans s’en gausser, le moine pouvait presque assurer être le seul ami avec lequel le mari d’Isabel pouvait compter. Il ne jugeait pas, se remettant aux simples faits de la réalité. Alpha était différent et n’y pouvait rien. On l’avait privé de tout et soudain tout s’offrait à lui : vie, liberté, amour. Il n’avait su gérer. Qui aurait pu le faire ?
Tsang ne perdit pas son temps. Il savait que tôt ou tard, l’Ayerling reviendrait vers lui en quête d’aide. Ses connaissances millénaires ne suffiraient pas pour venir à bout d’un stratagème mis à jour 20 siècles après sa propre mort mais si sa sagesse servait de quelque chose, il l’y employa à fond pour circonvenir la Pierre avec un vœu plus que singulier qui, contre toute attente, fut acquitté. De retour à sa tente, il but une potion pour éclairer l’esprit, pria Bouddha et se plongea dans l’étude des documents si généreusement fournis.


Ce n’est pas sans risques, informa Tsang en regardant l’Ayerling.

Peu importe, je te relève de toute responsabilité. D’ailleurs, si j’en meurs, personne n’ira s’en plaindre. Fais, Tsang…

Tu es un homme de bien.


Un sourire d’atroce lassitude reçut le compliment.

Je ne suis rien, moine…je n’ai même pas de nom…

Tsang contempla le minuscule objet qu’il venait de retirer de l’occiput de l’Ayerling. Il avait induit un sommeil proche du coma avec une préparation de sa composition et ne prévoyait un réveil que quelques heures plus tard. Ce qui adviendrait alors tiendrait autant de la chance que de la science appliquée. Le résultat dépendrait de beaucoup de facteurs, dont Tsang méconnaissait les trois quarts. Selon le document étudié, cela dépendait de l’individu et de son aptitude pour affronter un soudain déblocage des émotions irrationnelles. On parlait de possibles troubles nerveux, dont le pire, une dégénération du rationnel en folie paranoïaque conduisant l’individu au suicide, répertorié dans 85% des cas.
Alpha émergea lentement de son coma assisté. Le moine et Léontine penchés sur lui, guettaient ses réactions. Il ouvrit les yeux mais son regard demeura vague, perdu. Tsang parla mais ses mots se perdirent dans quelque dédale de douteux aboutissement alors que des cris affolés scandaient sa mémoire.

Isabel…

Comme une digue qui se rompt après des années de résistance, les sentiments plus primitifs de l’humain normal déferlaient dans sa conscience, l’étouffant, la démenant, la maltraitant, la déchirant. Cruels, sournois, réels, siens. Ignorance éclairée, compréhension admise, vérité éclatante. Création utile, esclave programmé. L’âme mise au silence jusqu’à la faire disparaître. Il avait déposé sa pauvre foi, l’unique dont on lui avait fait sursis, en une entité omniprésente dont la puissance obnubilait le reste. Lutte et survie. Pas la sienne. Celle-là ne comptait pas. Quantité négligeable. Un « no name » juste un numéro. Un article d’inventaire. Et puis Isabel…

Apprendre à vivre avec lui-même, ses erreurs de jugement et le manque atroce, s’avéra une expérience extraordinairement douloureuse. Il percevait, entendait, sentait avec une acuité développée jusqu’à frayer le seuil de douleur extrême. De jour, partager son existence avec d’autres qui ne faisaient aucun secret quant à ce qu’il leur inspirait. Crainte, haine, mépris, rancœur. Il n’avait jamais su, apparemment, gagner leur respect et au cas de l’avoir fait, celui-ci s’était émoussé après la mort d’Isabel. La nuit était une autre affaire. Là, c’est lui qui craignait. Le sommeil ravivait sa conscience à travers des cauchemars récurrents dont il s’éveillait en nage, s’étouffant d’angoisse. Artémis, n’avait accompagné sa détresse que pendant quelques jours avant de disparaître, le laissant à merci de la solitude écrasante.

Après une enquête plus approfondie des lieux du sinistre, des témoignages fiables réunis, entre lesquels celui de Sa Majesté, la vérité éclata. L’unique coupable de l’accident avait été la foudre. Il ne restait pas de doute. La mort dans l’âme, Alpha devait reconnaître son tort. Écrasé de douleur et remords, sans Tsang et sa sagesse, il aurait cherché une solution expéditive. En fait de solution, il la trouva, sans pour autant s’en prendre à lui-même.

Fray Domingo de Mendoza et ses deux acolytes étaient retenus dans la nouvelle prison, bâtie depuis peu. En faisant sa première ronde du matin, le garde les avait trouvés morts. Le chinois était brisé en deux. L’allemand avait le cou formant un angle bizarre. L’inquisiteur avait, des trois, connu la mort la plus lente et angoissante, il portait des traces de torture consciencieuse mais c’était le garrot qui avait mis fin à sa vie. Celui qui avait appliqué la méthode semblait être familiarisé avec celles employées lors de l’Inquisition ou en avait largement pris connaissance par des lectures édifiantes. On ne s’expliquait pas comment cette exécution avait pu avoir lieu. Personne n’avait rien vu, ni entendu.


Cette fois, justice est vraiment faite. Merci, Tsang.

La paix soit à ton esprit, mon ami.


Les hommes de la Milice obéissant à contre cœur et il ne manquait pas le remonté qui faisait entendre sa voix, causant des remous là où personne n’en avait besoin. Alpha imposait par sa seule présence et personne n’osait le provoquer ouvertement mais cela devenait éreintant, à la longue.

La journée avait été plus éprouvante que d’habitude. Le ballon, fruit des efforts d’Amelia, après la perte de son premier projet, était prêt à prendre l’envol. Alpha avait suivi de loin en loin les préparatifs, sans aucun désir de s’en mêler, sachant d’ailleurs ne pas être le bienvenu. Il trouva une place, près du fleuve, d’où rien ne dérangeait la vue du champ d’essai. Tout semblait se dérouler pour le mieux. Le lendemain, au petit matin, ils s’envoleraient vers d’autres horizons.

*Et tu purgeras tes peines dans cet enfer !*

Perdu dans ses pénibles réflexions, il ne l’avait pas entendue s’approcher. Sa main conciliante sur son épaule le fit sursauter.

Elisabeth…je te faisais là-bas…avec les autres… Oui, je sais que vous partez demain…

Il y avait une profonde commisération dans ses yeux noisette. Ses mots, mesurés furent empreints de douceur, consolateurs au possible.

Je ne mérite rien…je le sais maintenant…oui, tant de choses…trop tard ! Tsang aurait dû découvrir l’anomalie avant…mais les choses arrivent quand elles doivent arriver…ni avant, ni après…Elle me manque…à chaque instant…

Après une vie entière sans ressentir la moindre émotion, des larmes lui brûlant les paupières le surprenaient encore. Il les essuya d’un geste presque rageur.

Non, Elisabeth…il n’y a pas de sursis pour cela…Isabel parlait toujours du Paradis mais aussi de l’Enfer…suis sûr de ne pas connaître le premier…mais ce qui est du second…suis en plein…même le chat est parti…

Cela faisait longtemps que personne ne s’adressait à lui de la sorte, avec considération, semblant comprendre ce qui l’affligeait. Isabel avait été la seule à s’occuper de lui. Et puis, soudain, sans aucun préavis, l’impératrice se livra à un aveu qui le laissa sidéré.

Tu as demandé à la Houle…la veille…Cela veut dire que…


Elle lui recommanda de ne se faire aucune illusion. Rien n’était sûr, la Houle ne livrait pas facilement ses secrets. Selon Sissi, si tout avait marché selon ses souhaits, Isabel pouvait avoir été recrachée sur une rive ou l’autre.

Où qu'elle soit…je la retrouverai…


Sissi lui rappela, délicatement, son triste rôle lors des audiences et exécution. À son avis, d’avoir survécu, Isabel n’aurait certainement pas envie de se trouver de nouveau face à lui.

Je le sais…il me suffirait de savoir qu’elle va bien…

Il mentait. La seule idée de ne pouvoir que la regarder de loin le rendait malade de désespoir. Elle serra doucement ses mains puis l’embrassant sur la joue, lui souhaita la meilleure des chances avant de faire ses adieux.

Bonne chance…Merci…Adieu !


L’aube pointait, glorieuse, quand le ballon s’éleva. Au sol, la foule acclamait l’exploit. De son poste de vigile, Alpha suivit le départ. Il avait tant désiré être de cette aventure…

La vie reprit. Sven, devenu chef, s’arrangeait pour bien mener sa barque mais continuait d’éprouver une gêne évidente face à l’Ayerling. Inutile de rendre les choses plus difficiles, Alpha n’eut pas à insister pour être remplacé par Gontrand qu’il avait si bien entraîné. Le seul ami avec lequel il aurait pu compter, Tsang, était parti avec les aéronautes.
Il assembla son barda et quitta le campement, sans adieux ni explications. Personne ne le regretterait, il en était sûr. S’il devait croire à l’hypothèse émise par l’impératrice d’Autriche, à ce jour princesse des Myrmidons, si la Houle avait voulu épargner Isabel, le plus logique est que celle-ci eut dérivé suivant le courant de la rivière. Il avança donc en aval. Deux mois durant, sans trouver aucune trace de son passage. Il rencontra quelques riverains isolés, craintifs, mais qui, dûment rassurés ne surent pour autant livrer une quelconque information.
Il avait franchi encore une colline, l’après-midi touchait presque à sa fin quand une apparition inédite le laissa pratiquement cloué sur place. Artémis venait de bondir face à lui, échine hérissée, oreilles plaquées, grondant, menaçante, lui barrant, en toute évidence, passage.


C’est bon, chat…je reste là…je ne fais rien…Tu me reconnais pourtant…qu’y a-t-il qui te fasse réagir de la sorte ?

Aussitôt posée la question, il sût la réponse. Le fauve ne semblait nullement disposé à le laisser aller plus loin et pour s’en assurer resta campé là, érigé en féroce vigile. Alpha sembla ne pas s’en formaliser. Sans brusquer la gardienne des lieux, il s’occupa à bâtir son petit campement, allumer un feu et même ouvrir une conserve alors qu’une seule envie le taraudait : prendre ses jumelles et jeter un coup d’œil vers la petite vallée en contre-bas. Il n’en eut pas le loisir que jusqu`à la nuit tombée.

Une petite tente. Un feu. Non loin, une Pierre sacrée. Trois éléphants parqués dans un enclos. Il eut presque du mal à la reconnaître…Face aux flammes dansantes, elle ressemblait à une prêtresse païenne, vêtue d’une espèce de courte tunique, cheveux défaits…belle à en mourir…

Isabel…


Dernière édition par Alpha 247 le Mar 7 Mai - 22:57, édité 2 fois
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Isabel Kittredge

Isabel Kittredge


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Fin ou début?  Empty
MessageSujet: Re: Fin ou début?    Fin ou début?  EmptyVen 3 Mai - 19:00

En sentant les puissants crocs se refermer sur elle dès le fond touché, Isabel fut contente. Mieux valait une mort rapide que les douleurs subies ces dernières heures. Elle qui s’attendait à être broyée d’un coup sec déchanta bientôt. Le monstre allait-il, lui aussi, faire durer le plaisir ? Elle perçut un déplacement à grande vitesse dans le courant du fleuve.

*Ouvre la bouche, inspire !*
tenta-t-elle de s’ordonner afin de vite faire cesser le supplice.

L’instinct de survie est puissant même chez un condamné. Les poumons lui brûlaient. Elle ne tiendrait plus longtemps. Juste comme elle lâchait son dernier souffle d’air, le titan du fleuve sortit la tête des eaux. Le temps d’une inspiration, Isabel alla de nouveau au bouillon. À trois ou quatre reprises, elle eut droit au même traitement.


*Sans doute son garde-manger est-il loin…*
pensa-t-elle, les idées en pagailles.

Cette fois, le bond effectué par la Houle fut plus puissant. Tellement puissant qu’Isabel traversa les airs et atterrit douloureusement sur le sol ferme.
Sonnée, elle n’entrevit qu’une énorme forme allongée qui ondoyait au fil de l’eau.


POURQUOI ? pleura-t-elle. Pourquoi tu ne m’as pas mangée ? Je ne veux plus vivre, plus sans lui…

C’était probablement un coup de Sissi, celle qui commandait le monstre du fleuve. Générosité ou cruauté ? À quoi bon vivre quand on a tout perdu ?
Elle resta longtemps prostrée en position fœtale sur l’herbe rase de cette rive. Peu à peu, le calme vint et avec lui le sommeil.
Le soleil avait dépassé son zénith quand une douche puissante déferla sur la rescapée. Réveillée en sursaut, Isabel ouvrit des yeux ronds sur la masse énorme qui plongeait sa trompe dans l’eau.


Noy ? Noy, c’est toi?

Joueuse, la jeune femelle se tourna pour l’arroser à nouveau.
Rire était bon ! Une allégresse sans nom s’empara d’Isabel. Elle se releva et courut enserrer une patte du pachyderme :


Tu es venue ! Tu ne m’as pas oubliée, toi au moins !

Les intentions de l’éléphant étaient évidentes. Elle voulait qu’Isabel l’enfourche. Selon la méthode apprise, elle laissa la jeune femme se hisser sur son dos en s’aidant de son antérieur.

Et maintenant ?

Apparemment, Noy avait son idée. De son pas lourd et lent, l’animal avança droit vers la forêt profonde. Habituée au tangage d’un tel déplacement maintes fois pratiqué, Isabel éprouva presque de la béatitude à balader ainsi sur le dos de son amie qui, après une bonne demi-heure, s’arrêta enfin.
L’endroit était charmant. Petite vallée encaissée entre deux collines, il offrait protection contre les vents contraires. Un ruisselet traversait la plaine herbeuse et… une Pierre sacrée émergeait non loin.


C’est parfait, merci, Noy ! dit-elle en sautant à terre.

Que rêver de mieux ? Elle avait tout, et même plus qu’elle ne pouvait désirer.
Si elle avait été à son époque, sûr qu’elle serait rentrée au couvent, alors…
Elle tomba à genoux pour prier son miséricordieux Jésus avec fougue et foi avant d’aller de façon plus païenne invoquer la clémence de la pierre :


Oh Pierre, je ne t’embêterai pas souvent, je te le promets. Accorde-moi juste quelques vêtements, de quoi chasser, me loger, cuisiner et me laver. Merci.

Les dons dépassaient ses demandes. Elle en fut étrangement remuée. La Pierre lisait-elle au fond des cœurs ? Chassant son émotion, Isabel se mit à l’ouvrage.
S’occuper était un vrai bonheur, cela évitait de penser.
La tente fut montée rapidement. Garnie d’un matelas gonflable et literie confortable, elle disposait aussi d’un coffre empli d’un nécessaire de toilette, de vêtements et d’une petite batterie de cuisine. Des boîtes de conserve complétaient l’attirail. L’arc fourni était encore plus performant que le précédent. L’accompagnait… un coutelas. Isabel s’en effraya. Jamais la Pierre n’avait accordé un moyen direct d’attaque ou de défense à quiconque. Là, sans rien réclamer, elle l’avait reçu. De quoi l’étonner.


*Si elle le donne autant, c’est qu’elle juge que j’en aurai besoin !*


Ses réflexions n’allèrent pas plus loin.
Le reste de la journée, Isabel le passa à s’installer. Elle testa ses armes avec succès. Lièvre à la broche et haricots en sauce constituèrent son repas, créant une affreuse nostalgie qui l’inonda de larmes en souvenir d’un dîner similaire partagé avec…


*Il n’existe plus ! Oublie, tourne la page !*


Les larmes furent épongées rageusement.


Un jour succéda à un autre et ainsi de suite. La vie toute simple d’Isabel lui convenait parfaitement. De la pierre, elle reçut encore du matériel de dessin et des cahiers d’écriture, de quoi combler ses soirées solitaires. Elle chassait tôt, pêchait parfois au fleuve, occupant le reste de son temps à observer la nature environnante. Les oiseaux la fascinaient. Par jeu, elle se mit à imiter leurs chants et fut ravie du résultat de ses efforts de communication. Avec Noy l’entente était quasi surnaturelle, un peu comme avec sa chatte… Artémis… Voilà bien la seule qui lui manquait réellement.

*Ils me l’ont tuée…*

Elle préféra ranger ces pensées-là, comme tant d’autres dérangeantes, dans un tréfonds de son cerveau dont elle jeta mentalement la clé.
Combien de temps s’écoula-t-il entre son arrivée et celle des copains de Noy ? Isabel ne comptait plus rien depuis ce moment. Alors qu’elle croquait au fusain une étrange variété de psittacidés, elle pesta de les voir s’envoler. Qu’est-ce qui les avait troublés ? Sens en alerte, elle perçut les vibrations du sol.


*Deux, non trois éléphants en approche !*


Aucune crainte ne l’habitait en partant à la rencontre des pachydermes.
Noy lui présenta ses amis à grand renfort de barrissements assourdissants
:

J’ai pigé ! Assez, ma belle !

Le grand mâle était impressionnant. De type asiatique, comme Noy et l’autre femelle, il faisait bien 4 mètres au garrot et 7 de long. Son attitude n’avait rien d’amicale.

*Jamais dressé, celui-là !*


L’aurait-il piétinée sans l’intervention de Noy ? Peut-être.
Beau, majestueux, rebelle, elle l’aurait volontiers baptisé Alf si ce patronyme n’avait pas réveillé
une sourde douleur. Elle le nomma Théo, en souvenir de Théodore Trapp, un voisin de sa rue qui,
comme l’animal, ne tolérait aucune contrainte mais avait fini comme maître d’école du quartier.
Sa femelle, beaucoup plus docile, fut nommée Snow. Sa peau crevassée était si blanche par rapport aux autres que cela lui allait tel un gant.
Nombre de jours s’écoulèrent avant de pouvoir se faire obéir des nouveaux venus.
Favori ? Isabel s’arrangea pour distribuer équitablement câlins et friandises.
Ces « bêtes » n’en étaient pas. C’était des amis qui l’aidèrent beaucoup.
La température fraîchissait de jour en jour. L’hiver existait-il dans ces contrées ? N’en sachant rien, Isabel prit les précautions nécessaires. Du fourrage conséquent s’accumula ; provisions personnelles aussi. Chaque soir, elle prit l’habitude de parquer ses amis dans un vaste enclos, de peur de les voir disparaître du jour au lendemain. C’était un peu idiot car, d’un coup de trompe, l’un ou l’autre pouvait rompre la barrière et s’échapper à sa guise. N’empêche que ça la réconfortait de les savoir à portée de voix sinon de main. D’ailleurs, la socialisation effectuée, aucun ne manifesta des envies de fugue, au contraire. Théo fermait lui-même son enclos…
Heures paisibles, douceur de vivre avec sa seule voix qui résonnait de moins en moins. Pensée, bruit de gorge suffisaient pour communiquer.


Un beau soir, alors qu’Isabel grillait des poissons, les pachydermes s’énervèrent. À leurs barrissements, elle sut qu’un intrus arrivait. Elle pleura longuement quand une chatte bien connue la plaqua au sol pour la lécher ensuite copieusement.


Artémis, tu es là ! Ils t’ont épargnées ? Tu t’es sauvée ? On t’a libérée ?

Qu’importe ! Seul comptait l’instant présent des retrouvailles. Cette nuit-là, pour la première fois depuis longtemps, Isabel ne dormit pas seule.

Finalement Isabel écrivit peu, sa passion du dessin prit le dessus.
Des jours de paix totale s’écoulèrent encore. Chasse, pêche, dessin, balades à dos d’éléphant, prières, Isabel était sereine, en communion avec son environnement. Puis, un jour, Artémis rentra d’une promenade. En un regard dans les profonds yeux noirs, Isabel sut.
IL était là, proche. IL l’avait retracée et trouvée.
Dans les cliquetis bizarre qui constituaient son nouveau langage elle prévint ses amis de poils ou d’écailles :


*Tenez l’intrus à distance*


Ses sens aiguisés par de longs mois de solitude l’informèrent de l’observation intensive dont elle était l’objet. Peu importait. S’IL franchissait son territoire, mal lui en prendrait. IL l’avait déjà tuée une fois, il n’y en aurait pas de seconde.
Du matin au soir ou du soir au matin, Isabel subit sans broncher l’examen de son ex-mari. Jamais elle ne lui donna l’occasion de se rincer l’œil à fond. Trois éléphants, ça forme un bel écran.
À force de dédain, elle espérait bien qu’il se lasse et parte. Hélas…
Par veine, le voyeur se montra si discret qu’Isabel parvint à faire totale abstraction de sa présence. Elle put s’adonner à ses occupations en toute joie de cœur comme si l’autre n’existait pas.
Le temps passa, il commença à vraiment faire froid.
Isabel avait accumulé suffisamment de pelage d’animaux pour se fabriquer couvertures, pelisse, bottes et moufles. Elle ne redoutait pas l’hiver même si ceux qu’elle connut en Californie étaient doux. Pour avoir dévoré les écrits de son « beau-frère » Jack London, elle se sentait prête à affronter pire.
Ce serait une première depuis sa résurrection car, jusqu’ici, le climat avait toujours été avantageux. La Houle l’avait-elle rejetée très loin du camp maudit ? Ou alors les saisons ne se déroulaient pas comme sur Terre ? Aucune importance. Sa seule inquiétude se portait envers les éléphants. L’Histoire racontait qu’Hannibal avait traversé les Alpes avec de tels animaux, donc ils devaient résister aux rigueurs climatiques, non ?
Très régulièrement maintenant, elle vit de la fumée s’élever au sommet de la colline de l’ouest, preuve indiscutable qu’IL était toujours dans les parages, de quoi l’agacer.
S’il avait tenté de se rapprocher, il avait dû en découdre avec ses alliés.

*Bien fait !*

Misère qu’est-ce que l’on caillait !
Le ruisseau gela complètement, obligeant la recluse à aller s’approvisionner plus fréquemment au fleuve.
Il neigea.
Sortant de sa tente, Isabel fut éblouie en contemplant un tableau inédit. Tout était transformé, immaculé… magique !
Serrés les uns contre les autres, les éléphants ne payaient cependant pas de mine.
Pourquoi restaient-ils là ? Leur enclos n’était pas si solide qu’ils ne puissent le défoncer pour gagner des terres plus hospitalières. Étaient-ils devenus si dépendants d’elle pour refuser la liberté ?

Noy, ma douce ! Il n’y a pas assez de fourrage pour vous trois ici ! Tu devrais emmener les autres et… revenir quand tu le jugeras bon…

La longue trompe balança dans une négation significative.
À partir de ce jour, Isabel laissa l’enclos ouvert mais cela n’eut aucun effet.
Une nuit, un méchant blizzard se mit tant à souffler qu’Isabel craignit de voir son abri s’envoler. Elle avait pourtant bâti des auvents autour mais les bourrasques étaient d’une telle violence…
Soudain, Artémis entra dans une dans curieuse. Elle tournait en rond dans la tente, regardant fréquemment l’ouverture bâchée.


Qu’as-tu ? Tu veux sortir par ce temps ?


Câlins, ordres, n’aboutirent pas à faire cesser le manège. Contrainte, Isabel n’eut d’autre recours que d’ouvrir. La chatte bondit mais s’arrêta aussitôt à mi-corps engagée, comme en attente.

Tu veux que je te suive ? Tu es folle ma toute belle…


Rien n’y fit. Isabel revêtit s’équipa chaudement et suivit le félin jusqu’à l’enclos des éléphants où Noy l’attendait avec une impatience non feinte. Une balade dont Miss Kittredge se serait bien passée commença.
Rien ne rebutait le pachyderme guidé par un fauve insensible au froid mordant. Pliée en deux sur le dos puissant pour échapper aux bourrasques, Isabel subit sans distinguer quoique ce soit.
On grimpait, c’était la seule chose qu’elle put affirmer.
Puis, enfin, la « promenade » s’acheva ; Noy s’arrêta.
Se redressant, Isabel eut beau scruter les alentours, elle ne vit rien qui valait ce périple hasardeux.
Sans les pattes d’Artémis qui fouillèrent l’épaisse couche de neige, elle serait passée à côté. Peu à peu sous les griffes apparurent un bras, une poitrine, une tête…
Isabel se figea presque autant que le corps révélé qu’elle contempla, impavide
.

Il est mort ! On s’en va, dit-elle aussi froide que la neige alentours.

Aucun des deux animaux ne broncha.


J’ai dit : on s’en va ! ordonna-t-elle. Noy, demi-tour !


Loin de lui obéir, l’éléphant allongea sa trompe vers l’individu congelé.


Ne le prends pas, il est mort !


Des paroles d’un passé pas si lointain lui résonnèrent dans la cervelle :


*Ici, jamais de cadavres, les morts s’enfument au vent…*


Ramène-le, si tu veux Noy !


Un étrange cortège descendit vers la vallée.


*Avec un peu de chance, il va se briser en morceaux avant d’arriver…*


Raté !
Noy travailla si bien que c’est à peine si Isabel dut tirer sur le corps pour l’enfourner dans l’abri.
L’air satisfait, Artémis se coucha immédiatement dessus. Isabel, elle, haussa les épaules, se blottit dans un coin et s’endormit… d’un œil.
La tempête dura deux jours. Un petit réchaud au gaz aida Isabel à s’alimenter chaud et à ne pas geler. Dans l’abri, une bonne tiédeur régnait. Ça sentait un peu le fauve ? Tant pis.
Son « mari » mit du temps à reprendre ces sens, ce qui donna l’occasion à Isabel de beaucoup réfléchir. Par un temps pareil, c’était cruel de le renvoyer dehors, mais… rien que sa vue l’écœurait profondément. Comment avait-elle pu tomber amoureuse de ce robot givré ? À son corps défendant, elle devait lui reconnaître certaines qualités. Néanmoins, les supplices subis demeuraient trop vivaces pour effacer l’ardoise.


*Quand il sera d’attaque, il partira ou bien je partirai*


Quand ça se calma dehors, Isabel osa pointer un nez timide à l’extérieur. Les auvents avaient empêché à l’abri d’être submergés par les tonnes de neige tombées du ciel. La Pierre était complètement ensevelie. Les raquettes de fortune fabriquées au cas où s’avérèrent d’extrême utilité pour aller la dégager. Par veine, elle l’aurait trouvée yeux clos.
Quelques provisions sous le bras, elle rentra au logement et fut immédiatement frappée par le regard d’azur posé sur elle. Lèvres pincées, Isabel n’émit pas un son, vaquant à sa tambouille comme si Alpha n’existait pas. Un thé fort, bouillant et sucré, accompagnés d’un ragout de haricots se posèrent à portée de sa main sans mot ni regard. Son devoir accompli, Isabel prit son déjeuner personnel et sortit le manger dehors.
Son repas achevé, elle vérifia les éléphants qui se portaient à merveille puis pelleta à tours de bras autour de son campement. Rompue, il fallut bien renter…
Les bols vides prouvaient que l’appétit de l’Ayerling n’avait pas pâti, donc c’était inutile de lui demander des nouvelles de sa santé ce dont, du reste, elle n’avait aucune envie de s’informer.
Quand elle se pencha pour ramasser la vaisselle sale, IL osa lui prendre le poignet. Un serpent venimeux l’aurait mordue qu’elle n’aurait pas mieux bondi en arrière :


NE ME TOUCHE PAS !
cria-t-elle, furibonde.

Un essai de dialogue s’amorça ; elle demeura sourde. Blabla, blabla ! Elle n’en avait rien à cirer de ses regrets !
Lasse, elle en eut vite marre de ses discours maladroits. Sortir pour leur échapper ne la tentait cependant pas, trop crevée pour ça. Du ton le plus froid de son répertoire, elle grinça :


Plus un mot où je demande à Noy de te ramener de là où l’on t’a sorti, compris ?

Son regard douloureux lui fit plus mal que prévu mais elle tint bon. Encore faible, son mari retomba sur le matelas tandis qu’elle s’accommodait dans son coin afin de se reposer un peu.
Passé midi, engourdie, Isabel s’extrait de sa couverture. Son invité obligé dormait encore, bonne chose. Bottes, raquettes, pelisse, la voilà à nouveau dehors, un impérieux besoin de bouger la poussant du train. Tout était si calme sous cette couche épaisse de poudreuse…
Noy se prêta volontiers à une balade au fleuve qui, plus chaud, baignait dans la brume.
Ses bidons emplis, quelques poissons attrapés dans la nasse, avec sa copine, elle rejoignit le camp.
Alpha n’avait pas bougé d’un poil, apparemment.


*Il a négligé de se raser… ça ne lui va pas du tout… Qu’est-ce qu’il a maigri…*

Volontaires ou non, ces constatations la chagrinèrent un peu, de même que le teint cireux de celui à qui elle s’était donnée un siècle avant, au moins...
Quand le repas fut prêt, elle éleva le ton
:

Mange ! Ça va refroidir…


L’absence de réactions l’intrigua. Il lui jouait quoi, là ? La belle au bois ?
Réfrénant sa répugnance, elle lui poussa le bras. Rien. Il n’était pourtant pas mort, sa poitrine se soulevait et s’abaissait.


Hey ! le secoua-t-elle rudement. Réveille-toi ! Bon Dieu, tu vas les ouvrir tes yeux ?

La tête roula sur l’oreiller, sans plus. C’est alors qu’elle vit le sang qui poissait la toison blonde.
Pour une raison inconnue, l’Ayerling s’était pris un vilain coup sur la cafetière.
L’eau bouillit. Avec précaution, Isabel en lava la plaie révélée puis ses ciseaux entrèrent en action. En palpant les contours de la blessure, elle blêmit. Sous l’induration de l’hématome, un décalage notoire se constata :


*Fracture du crâne ???*


Que faire dans un cas pareil, sinon prier ? Tsang aurait probablement su, elle pas quoique.

*La partie enfoncée doit comprimer le cerveau… Il faut la redresser…*

À moins d’une intervention chirurgicale de haut niveau, Alf risquait Dieu sait quoi.

*Coma perpétuel, paralysie, débilité mentale… La mort…*


Si elle n’avait pas été chrétienne, probable qu’elle l’aurait laissé tel quel. Après tout, que méritait-il de plus que la même indifférence portée à son égard ?
Mais Isabel n’était pas aussi froide. Ce fut un barrissement d’éléphant qui lui fit entrevoir une solution. Appelée, Noy passa sa trompe sous la tente. Avec le langage étrange habituel, signes, mots, la jeune femme obtint gain de cause.


Vas-y doucement. Quand je dis stop, arrête ta succion!


La ventouse improvisée remplit son rôle petit à petit. Isabel vérifia de nombreuses fois la progression du traitement et, quand enfin, elle ne trouva plus d’irrégularité entre les os, elle renvoya Noy après moult remerciements.

*La nature fera le reste, si Dieu le veut…*

En bandant le crâne à moitié rasé de son époux, Isabel marqua un arrêt. Où était passé le renflement anormal de l’occiput ? Ses doigts ne trouvèrent qu’une petite cicatrice en lieu et place de l’anomalie relevée antérieurement.
Malgré elle, ses lèvres se relevèrent dans un sourire en coin.
Pansement achevé, elle veilla en priant.
Il délira assez bien durant la longue nuit qui suivit. Au moins, il ne faisait pas de température et, même si confuse, sa parole était normale.

*Faudra vérifier ses réflexes… avant de le relâcher dans la nature…*

Au matin, elle craignit le pire. Très agité, l’Ayerling baragouina Dieu sait quoi, sauf que son prénom à elle revenait souvent.

Calme-toi ! Tout va bien… oui, je suis là… tu rêves Alpha…

Rompue de sa longue veille, Isabel finit par piquer du nez sur ses genoux repliés. Ce fut le museau doux et chaud d’Artémis contre son cou qui la réveilla.
Alpha battait des cils. Aussitôt, elle fut en alerte :


Ça va ?... Pas trop mal ?... Pas étonnant ! Bouge pas ! Le moins possible, en tout cas…

Il accepta un peu de thé et plus tard du bouillon qu’elle lui donna à la cuillère tel un enfant malade.
Entre deux siestes, Alf se montra très lucide sauf qu’Isabel refusa le dialogue.
Ce n’est que le lendemain que l’on s’aperçut des réels dégâts du trauma crânien…
Alors qu’elle lui tendait son bol de thé, Isabel observa ses difficultés à se redresser de la couche. Tout le poids du corps reposait sur le côté gauche. L’inertie du droit alarma sa « femme » :


Alf, prends-le de ta main droite, tu es droitier,
ordonna-t-elle.

Les traits douloureux sous l’effort, l’Ayerling ne sut bouger un doigt…
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Alpha 247

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MessageSujet: Re: Fin ou début?    Fin ou début?  EmptyMar 7 Mai - 23:39

Des choses bizarres, d’autres lieux, il en avait vus et vécu des expériences extrêmes aussi. Mais en tant qu’Ayerling, le temps n’existait pas pour être perdu en contemplations inutiles. Chaque seconde s’employait dans un but unique : servir la Fédération, qui savait être le plus implacable des maîtres.
Par contre là, solitaire dans ce monde étrange, Alpha 247, avait du temps. Beaucoup. Énormément. Trop. Il avait basculé de son irréalisme mécanique dans une existence où se bousculaient sentiments et sensations qui l’emmêlaient dans un bouleversement irrationnel de douleur, remords, doutes, chagrin, manque, questions et encore plus de questions…auxquelles personne ne viendrait répondre.

Sans préavis, le climat commença à changer rapidement. Ses observations de la vallée le renseignèrent qu’Isabel avait, elle aussi, remarqué ces fluctuations météorologiques et se préparait en conséquence. Il fit de même. Un hiver inattendu leur arrivait dessus. L’Ayerling s’en fichait pas mal, du climat mais ne ressentait pas le besoin de se laisser prendre au dépourvu. Plus d’un kilomètre en amont du fleuve, près de l’orée des bois, il avait repéré une Pierre. Convaincu qu’Isabel ne le laisserait jamais approcher de la sienne, le guerrier s’arma de patience et en plusieurs allers retours rassembla tout le nécessaire pour affronter les rigueurs hivernales du calibre que celles-ci voudraient être. Sa tente thermiquement isolée constituait un atout majeur pour pallier le froid croissant. L’installation intérieure, si bien assez étroite, offrait le confort nécessaire. Les provisions, sous forme de rations de survie, ne manquaient pas. Les briquettes d’énergie concentrée pourvoiraient largement pour le maintenir au chaud pour un très long temps. Un des dons les plus précieux octroyés par la Pierre était une « tablette tactile » où se trouvaient enregistrées 4.000 œuvres écrites sur l’histoire de l’homme et autres informations d’énorme valeur qui l’aidaient, au possible, à dévider l’intrinsèque écheveau de la nature humaine et dont Alpha faisait bon usage quand il n’était pas dehors en train d’observer les allées et venues de sa femme.

Isabel savait qu’il squattait le sommet de la colline même si jusque-là, et après déjà plus de deux mois d’observation, l’Ayerling n’avait su capter la moindre reconnaissance de ce fait. Elle l’ignorait mais ce n’était pas pour autant qu’elle baissait la garde. Il savait qu’à la moindre tentative d’approche, la jeune femme n’hésiterait pas à lui décocher une flèche, à le faire piétiner par ses éléphants ou déchiqueter par Artémis...si ce n’étaient pas les trois choses en même temps.


*Si elle t’a aimé un jour, sa rancoeur est exponentielle.*

Reconnaître cela ne faisait qu’empirer son misérable état d’âme. Il se trouvait parfois à maudire Tsang, qui en le délivrant de l’inhibiteur n’avait réussi qu’à le laisser à la merci de ce carcan de folle angoisse que semblait être devenue sa vie. Sans sentiments, son indifférence l’avait sauvegardé de beaucoup, à présent en bonne connaissance de cause, il pouvait mettre un nom à chacune de ses misères, d’autant plus qu’un seul suffisait pour toutes : Isabel.

Le jour, vaquer à quelque occupation parvenait à le distraire un peu de son obsession ; la nuit, par contre le laissait démuni face à ces heures de lutte acharnée contre le sommeil peuplé de cauchemars, la fatigue reprenant ses droits, il y sombrait pour se réveiller éreinté d’angoisse et parfois aussi de terreur.

Et il commença à neiger. Spectacle inédit que cette nature luxuriante, figée sous un manteau immaculé. Encore un absurde de ce monde inexplicable. Avant que les choses ne se corsent, l’Ayerling partit pour une courte exploration des alentours. La situation se dégradait rapidement par ce froid polaire. Les ruisseaux et petits lacs avaient gelé, le gibier de la sorte qui soit s’était soit terré soit avait migré sous des cieux plus cléments. Les fruits sylvestres avaient succombé au givre, la nature entière se figeait de glace.

Le blizzard aussi soudain que sauvage, le surprit sur le chemin de retour au campement. Exténuante randonnée qu’il accueillit presque avec plaisir. L’idée d’être dominé par les éléments déchaînés ne finissait pas de lui déplaire mais son instinct de survie restait, malgré lui, tenace et sa combinaison thermique le maintenait au chaud même si la température avait chuté à des degrés impossibles.

*Ce serait pourtant si facile…*

Mais même au fond de la dépression qui le minait, se laisser mourir lui apparaissait comme un acte de suprême lâcheté. Sentiments ou pas, Ayerling un jour, Ayerling toujours. Gravir la cote jusqu’à son refuge s’avéra éreintant sous les bourrasques de plus en plus violentes. Il marqua un arrêt avant d’entrer dans son douillet refuge, déjà à moitié enfoui sous la neige, pour s’assurer qu’en bas, dans la petite vallée, tout aille bien. Il essaya de voir quelque chose avec ses jumelles mais la neige ne le laissa distinguer grand-chose. Dépité, Alpha allait faire demi-tour quand quelque chose de lourd, porté par les rafales, le frappa à le frappa à la tête. Fondu au noir.

Combien de temps dura son inconscience ? Il n’aurait su le dire mais en ouvrant les yeux, sa surprise fut énorme en se découvrant à l’abri. Pas chez lui en tout cas. Bouger la tête requit un effort, sa vision était assez floue mais il l’aurait reconnue n’importe comment. Isabel se tenait à moins de deux mètres de lui, occupée à cuisiner. Elle ne remarqua rien. Incapable d’émettre le moindre mot ni de garder les yeux ouverts, Alpha retomba de nouveau dans un lourd sommeil très proche à l’inconscience. Il eut plusieurs épisodes semblables, de très courte durée et à chaque fois, il la distingua, si proche et si inaccessible à la fois avant de sombrer de nouveau.

Cette fois, il se réveilla assez pour savoir qu’elle n’était pas là. Une angoisse folle l’investit.

*Elle a préféré se risquer dehors que te supporter…mais comment diable suis-je arrivé ici ?...C’est elle qui… ? Serait possible que…?*

Son absence lui sembla durer une éternité mais enfin elle fut là. Cette fois, parfaitement consciente de son regard même si elle l’ignora vertement. Il suivit ses gestes avec avidité, ressentant, encore plus poignant, le manque atroce qui lui vrillait l’âme. Elle eut le bon cœur de lui laisser de la nourriture à portée de main avant de sortir manger son repas dehors, l’abandonnant à sa solitude. Manger lui coûta plus d’efforts que prévu, il avait un mal fou à coordonner ses mouvements mais était conscient qu’il fallait s’alimenter s’il voulait se remettre assez pour ne pas être un fardeau inutile. À son retour, il ne tenait plus et quand elle s’approcha il eut la brillante idée d’essayer de la retenir.

NE ME TOUCHE PAS !

Isabel…je t’en prie…je dois te dire…ce qui s’est passé…

Sa « femme » n’avait aucune envie d’écouter, peu importait ce qu’il voudrait dire et quand il insista, elle lui coupa la parole en le clouant sur place, encore plus si possible, d’un regard furibond et quelques mots froids et très concis.

Plus un mot où je demande à Noy de te ramener de là où l’on t’a sorti, compris ?


*C’est donc ça… elle m’a tiré du mauvais pas…esprit chrétien…un petit pas de plus pour gagner son ciel…juste ça… rien d’autre…et que voulais tu, imbécile ?*

Il aurait encore voulu placer un mot ou deux mais la douleur lancinante qui lui perçait le crâne le fit désister. Sacré coup, si on en croyait au malaise engourdissant qui l’investissait, l’abrutissant au-delà de tout effort pour le contrer. Les forces lui manquèrent pour demander si son équipement était par là. Quelques comprimés du flacon bleu pourraient l’aider mais incapable d’articuler un traitre mot il se sentit de nouveau aspiré par le néant.

Les flashes douloureux se succédaient, sans ordre ni concert. Douleur physique, torture morale. Isabel. Il fallait l’atteindre, la voir, l’écouter, la sentir. Pardon. Absolution. Enfer et paradis.


Calme-toi ! Tout va bien… oui, je suis là… tu rêves Alpha…


Si près. Si loin. Il l’appelait mais elle s’éloignait, chaque fois plus.

Pourtant, elle était encore là quand il ouvrit les yeux, échappant enfin à ce cauchemar en sourdine dans lequel il s’engluait.

Ça va ?

Sais pas.

Pas trop mal ?

Pire. Ma tête…ça fait mal

Pas étonnant ! Bouge pas ! Le moins possible, en tout cas…

Comme s’il pouvait. C’était comme si on l’avait cloué à la couche où il gisait. Elle décida qu’il devait manger mais plus faible qu’un chaton nouveau-né, dut la laisser le nourrir comme à la cuillère avant de retomber dans cette torpeur cotonneuse qui menaçait de l’engloutir. Tout essai de dialogue se solda par un échec cuisant. Accablé, perclus de douleur, il préféra fermer les yeux. Inconscience ou sommeil abrutissant, peu importait. Il se déconnecta de la réalité et pour la première fois en tous ces mois, aucun cauchemar ne le tortura.

Depuis son réveil, le lendemain, supposa t’il, Alpha pressentit que quelque chose d’anormal se passait. Son corps était pesant, engourdi. Isabel lui présentait un bol de thé mais il était incapable d’esquisser les gestes conséquents pour le saisir, c’était comme si la moitié de son corps se refusait obstinément à toute collaboration.

Alf, prends-le de ta main droite, tu es droitier, ordonna-t-elle.

*Suis ankylosé…trop de temps allongé…mauvaise posture…ça devrait faire des crampes mais là…*

Mais la vérité était tout autre, et il le sut après s’être échiné à lever son bras droit…à bouger un doigt.

Peux pas…mon côté droit est…paralysé…je ne sens rien…

Se laissant aller pesamment sur l’oreiller, il se tâta la tête de sa main gauche. Un gros bandage entourait son crâne douloureux.

Que...s’est –il passé ?

Forcée par la circonstance, elle fit un succinct rapport.

Tu…as…remis en place une fracture crânienne… avec la trompe d’un éléphant ?...Aspiré l’os démis ?...Merci…je suppose que tu…as voulu éviter que…je meure ou reste idiot…oui…

Elle avait agi parce que sa nature charitable le voulait ainsi. Il n’avait aucune illusion à se faire, aussitôt en forme tout redeviendrait comme avant et chacun s’en irait attendre le printemps de son côté. Désolante perspective, mais l’Ayerling était très conscient de ne pas avoir le droit de s’attendre à autre chose. Mais pour le moment, le fait qu’il soit aussi à peu près aussi inutile qu’une botte de foin, changeait un peu la donne. Profiter de la situation ? Il ne voyait pas comment : Isabel s’efforçait dignement d’ignorer sa présence et ne s’adressait à lui que quand c’était strictement nécessaire, c’est-à-dire, presque jamais. Tout geste envers lui était de mécanique efficience, même les plus compliqués, comme par exemple lui ôter sa combinaison thermique, ce qu’elle fit sans démontrer le moindre émoi. Elle révisait son bandage, examinait son crâne, s’assurait de sa température et l’aidait à s’alimenter avec la froide efficacité d’un robot-infirmier, en apparence. Il la connaissait et la devinait tendue, aux aguets. Que pouvait-elle craindre ? Sûrement pas qu’il lui saute dessus, incapable comme il était de bouger correctement. Celle-là n’était pas une situation qu’ils pourraient supporter longtemps autant essayer d’y trouver rapidement remède.

Dans mon sac il y a des médicaments qui accélèreraient le processus…Ah, un demi-mètre de neige…Non, je ne peux pas le savoir, suis pas allé regarder dehors…Je disais simplement…Plus vite ça ira, plus vite tu m’auras hors de ta vue !

Il n’avait aucune envie de l’être, hors de sa vue, mais entre autres sentiments frais découverts, il y en avait un qui ressemblait à de l’amour-propre. Elle ne voulait pas de lui, il ne s’imposerait pas, ce qui ne signifiait pas qu’il renoncerait à l’amener à de meilleures considérations. Pas de sitôt !
Sa nature d’Ayerling rodée à tout avatar de la guerre, aidant, sa jambe droite gardait une certaine mobilité, cela devrait suffire. Isabel était sortie alors, s’armant de courage, il entreprit de se lever. Cela n’alla pas sans mal, mais il finit étalé par terre en pestant contre son inutilité. L’aide vint de la manière la plus inattendue. L’énorme tête de l’éléphant apparaissant à l’entrée de la tente le prit de court, la suite plus encore. Allongeant sa trompe, l’animal lui fournit l’appui nécessaire pour se remettre sur pied et de support pour tenter de faire quelques pas. Il n’en menait pas large mais le pachyderme avait une idée précise sur ce qu’il restait à faire. Extraordinaire béquille. Le froid piquant l’atteignit comme une gifle mais dégagea les derniers relents de torpeur. Ce fut une très courte promenade, suffisante pour avoir un aperçu des conditions extérieures et satisfaire des besoins naturels, inhibés jusque-là par son état semi-comateux. Tout aurait été parfait si un autre éléphant, décidément plus grand et mal luné , n’avait décidé de se mêler à l’escapade, avec des intentions on ne peut moins bienveillantes. Il s’agissait, en toute évidence, du mâle dominant de la clique pachyderme qui ne voyait pas de bons yeux qu’une de ses « dames » intervienne pour l’aider de si bon cœur. D’une poussée monumentale, Monsieur écarta la femelle, la faisant lâcher son protégé qui s’étala piteusement sur la neige. L’Ayerling s’attendit au pire. Le grand mâle allait le piétiner et le réduire en bouillie sans aucun effort, mais contraire à de telles suppositions, l’animal l’enroula de sa trompe, sans trop de douceur il faut le dire, avant de foncer vers la tente à l’intérieur de laquelle, il le propulsa comme fardeau indésirable.

C’est pas la peine de prendre la mouche comme ça…si tu veux pas qu’elle m’aide, fallait venir m’aider, toi !

Un barrissement furieux répondit à sa si simple requête. L’animal s’éloigna de son pas pesant alors il entreprit d’atteindre sa place en claquant gentiment des dents. Ses efforts avaient presque abouti quand ce fut le tour de la dame de céans d’entrer en scène. Sa réaction en le découvrant affalé par terre ne tarda pas. Traité d’irresponsable et autres noms moins tendres, il eut quand même droit à son appui pour regagner la couche. La sentir si près éveilla avec fureur l’éternelle faim qu’il avait d’elle et la douleur du manque fut près de lui tirer des larmes. Isabel était fâchée, ce qui semblait être devenue sa seconde nature.

Je…mes jambes peuvent me soutenir…pas trop mais, mieux que rien…Non, pas seul…un de tes éléphants est venu m’aider…la petite femelle sombre…Ah, Noy…savais pas…on n’a pas trop bavardé…mais le grand lourdaud n’a pas apprécié…

Tout en lui adressant quelques épithètes « adorables », elle lui jeta presque dessus son sac.

Tu es allée là-haut…fallait pas…Ok, je me tais…merci quand même ! Je prendrai les médicaments…demain…je pourrai sans doute regagner mon campement…Je ne serai pas une charge pour toi !

Il crut qu’elle allait le frapper mais au lieu de le faire, la jeune femme entreprit d’ouvrir le sac en lui demandant que chercher.

Comprimés rouges…oui, donne m’en quatre ou cinq…ça devrait suffire…Trop ?...Ça changerait quelque chose ? Ça ferait overdose et tu aurais un problème en moins…

Sa gifle eut l’effet d’une caresse et son petit discours moralisateur de mots d’amour. Qu’elle ajoute qu’il était le dernier des imbéciles, une vérité tout à fait acceptable. Il eut droit à trois comprimés et à son aide pour les avaler. Qu’il sombre presque aussitôt dans un autre de ses séances de coma induit, fut sans doute un soulagement pour elle.

La pression dans son crâne avait cédé de quelques crans. Sans même ouvrir les yeux, il essaya de bouger les doigts de sa main droite. Il y parvint à peine mais cela marquait sans aucun doute, un progrès notoire. Il risqua un regard. Isabel semblait avoir guetté son réveil. L’esquisse d’un sourire de travers précéda son premier vrai mensonge.

Mieux ? Euh…à peine…un peu moins mal à la tête, oui…Bouger ?...Non, pas encore…c’est mort !

Quel air dépité.


*Si tu lui dis que ça marche…demain, elle te met à la porte !*


Ça peut prendre son temps, je suppose…c’est la première fois que je me trouve dans un état pareil !

Résignée, elle procéda à changer son pansement pour un moins enveloppant avant de lui recommander de s’essayer à une toilette sommaire et de lui présenter son rasoir futuriste.

Ça te dérange ?...J’avoue ne pas trop me sentir d’aplomb…Oui, sans doute un bain ne me ferait pas de mal…tu me vois prendre une douche ?...Peux pas tenir convenablement debout…seul je n’y arriverai jamais…

Pas dupe pour un sou, elle assura avoir la solution. Il fut sûr de ne pas trop aimer et ne se trompa pas. Comment s’arrangea t’elle pour convaincre Théo, l’éléphant mâle de prêter main forte…ou plutôt trompe forte ? Il ne le saurait sans doute pas de sitôt. Le fait est qu’un peu plus tard, celui-ci le cueillit délicatement et le mena dehors…où les deux femelles attendaient face à une bassine remplie d’eau.

Non mais…qu’est-ce que…

L’eau était à peine tiède et la force du jet l’étouffa. Alpha n’oublierait jamais cette douche animale. Noy pourvue d’une éponge savonnée le frotta sans trop de douceur.

Tu veux qu’on m’arrache la peau !?


En toute évidence, celui-là était le moindre de ses soucis. Quand la séance bain fut terminée, Théo, très imbu de son rôle, lui jeta dessus une serviette rêche et attendit qu’il se débrouille à la comme on peut pour se sécher, ce qui s’avéra hasardeux avec son sévère handicap, avant de le happer « gentiment » et le ramener à la tente pour l’y laisser tomber comme un sac à patates.
Isabel attendit un temps jugé prudent pour entrer à son tour alors qu’il s’arrangeait pour enfiler des vêtements secs. Le voir empêtré dans sa gaucherie évidente remua quelque sentiment de pitié et sans dire mot, elle lui vint en aide.

Raffinée ton idée de toilette sommaire !
, grommela t’il en refusant de se rallonger.

Elle passa outre ses commentaires et refit, encore une fois, le pansement de son crâne. Qu’il se rase semblait impératif à l’avis de la jeune femme qui lui mit le rasoir dans sa main valide et tint un miroir face à son nez. Il jeta un coup d'œil indifférent à l’image reflétée. Hirsute et hâve, son allure ne disait rien qui vaille.

Qu’est-ce que ça peut te faire la tête que j’ai ?...Tu ne me regardes même pas !

Haussement d’épaules, regard indéchiffrable. Elle rangea le miroir pour après le pousser sans commisération sur l’oreiller en l’intimant de ne pas trop bouger.

Bouger !? Ce sont tes bestioles qui m’ont ballotté comme à un pantin !


Elle passa en mode silencieux, l’ignora vertement en s’occupant à la préparation du repas. Il suivit ses faits et gestes, sans en rater un. Jamais rien ne serait comme avant, il le savait, le comprenait, l’acceptait mais ne pouvait s’empêcher se sentir l’insidieux chagrin qui lui rongeait l’âme.

Tsang a ôté l’inhibiteur de mon crâne…je sais que ça ne change rien mais…je voulais que tu le saches…Isabel…est ce que tu pourrais me regarder quand je te parle ?...Non…tant pis alors, je continuerai de parler à ton dos…

Au pire, il pourrait se prendre une casserole sur la tête, ce qui n’empirerait en rien son état, mais Isabel fit preuve d’une grande maîtrise de soi et continua de lui tourner le dos. Décidé à vider son sac pour ne pas devenir carrément fou, il poursuivit :

Je sais que ce qui s’est passé est impossible d’accepter…pour toi…et pour les autres aussi…pour moi, maintenant…quand Tsang a enlevé la chose de ma tête…ça a été…comme avoir vécu dans les ténèbres et se retrouver tout à coup en pleine lumière…je ne pouvais pas savoir qu’ILS avaient fait ça…pour moi tout était normal et clair…j’ai suivi des préceptes qu’on m’a inculqué depuis mon premier jour de conscience…Ce serait la même chose si on te disait, du jour au lendemain que tout ce en quoi tu crois n’est qu’un fatras de mensonges, que ta vie a été basée sur des principes archi faux… et que tout ce que tu as fait guidée par ta foi n’a été qu’une terrible erreur…

Elle avait au moins arrêté de remuer le ragoût mais restait là, la nuque rigide et il devina sa bouche pincée, amère.

Je n’espère plus que tu me pardonnes, ce serait sans doute trop demander…mais sache que je te suivrai où que tu ailles, même s’il me faut te regarder de loin pour le restant de ma vie…je crois que vous appelez ça expiation…j’expierai donc…c’est le prix de mes erreurs. .. Au fait, ceux qui ont ourdi cette farce de jugement…l’inquisiteur Mendoza et les deux autres…Ils sont morts. Je les ai tués avant de m’en aller…c’était une question de principes aussi…

Silence. Une migraine atroce revenant en force, il préféra fermer les yeux et s’arranger pour, à son tour, lui tourner le dos. Des larmes de tenace amertume lui brûlaient les paupières mais ce n’était nécessaire qu’elle le sache. À l’heure du repas, il refusa de manger, se contentant d’avaler cinq cachets rouges sans faire attention à ses protestes.

Le lendemain, la paralysie partielle avait cédé assez comme pour entreprendre des manœuvres de mobilisation urgente. Être si près d’Isabel et subir sa glaciale indifférence, le torturait au-delà de ses forces. Il attendit qu’elle quitte la tente et peu après le campement sur le dos de Noy, pour clopiner piteusement dehors. Theo, s’amenant de son pas lourd, le considéra d’un œil consciencieux, d’un air de qui ne prend pas parti.

Aide-moi à foutre le camp !

Convaincra ? Ne convaincra pas ? S’entendre avec les éléphants n’était décidément pas son fort…
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Isabel Kittredge

Isabel Kittredge


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MessageSujet: Re: Fin ou début?    Fin ou début?  EmptyJeu 9 Mai - 12:41

Sans Artémis puis la compagnie de trois éléphants, Isabel serait sans doute devenue complètement folle. Peut-être, en un sens l’était-elle, puisqu’en quelques mois de solitude humaine, c’est à peine si elle usait encore de sa langue pour parler. Les animaux ont leurs vocables propres. Eux ne mentaient pas, les paroles oui. Pas besoin de mots avec les « bêtes » : attitudes, sons suffisaient en général pour se comprendre. Dieu sait si le courant passa facilement entre Isabel et sa « compagnie »
Être abandonnée par tous – sauf Sissi ?- ne la consola pas de l’énormité de ses erreurs. Elle avait aimé ce qu’elle avait pensé être un homme ! Elle avait cru à l’humanisation d’un robot tueur juste parce qu’il avait manifesté les gestes et les expressions qu’elle souhaitait percevoir. Dans le fond, si elle tombait de haut, c’était de sa faute à elle, de sa bêtise, de son désir de prendre rêves pour réalité.
Avoir été recrachée par la Houle était, sans conteste – à ses yeux – l’unique moyen de reprendre le fil de la seconde chance promise par la résurrection.
Qu’IL revienne dans son environnement, tel un fantôme du passé, avait fait resurgir des sentiments très confus. Que LUI voulait-il ? S’assurer qu’elle avait survécu pour mieux l’abattre ? Assouvir enfin SA justice exemplaire ? Peu importait ! Elle s’arrangea pour qu’il ne l’approche pas. Les barrages en place, elle en vint à oblitérer sa présence même.
Le « hic » fut l’arrivée de cet hiver aussi brutal qu’inédit. Que son idiot d’ex-mari se soit pris Dieu sait quoi sur le crâne dans da tempête ouvrit une légère – très légère – brèche dans sa carapace d’indifférence. Le ramener au chaud, le soigner était son devoir de chrétienne. N’empêche que de constater son infirmité l’affecta plus que prévu. Le mur qu’elle avait dressé selon un frais passé qu’elle voulait effacer en perdit une solide brique :


*Handicapé ?? Le pauvre !*

Charité, compassion sont vertus prônées par sa religion. Néanmoins, absoudre est une autre paire de manches, surtout lorsque l’on a eu une cousine déjantée comme professeur. Tendre la joue droite si on giflait l’autre, non ! Alpha ne l’avait pas battue, il l’avait reniée !! Il avait jeté aux ordures promesses et mots d’amour ! Comment pardonner ça ??

*Impossible !*

Sans doute se rendit-il compte de la vanité de ses tentatives de communication puisqu’il en vint à souhaiter décamper rapidement après avoir réclamé ses fameux médicaments du futur.

Il y a au moins cinquante centimètres de neige dehors !
eut-elle du mal à répondre à sa supplique tant sa gorge avait des difficulté à articuler.

L’Ayerling s’en accommoda. Tant mieux !

Le plus souvent possible, Isabel déserta l’abri. Elle dut – plus que prévu – aller fréquemment à la Pierre qui se montra toujours généreuse à son endroit. Isabel n’avait pas prévu qu’Alf vienne grever ses pauvres provisions. Heureusement, le ciel veillait au grain car ses pièges ne donnaient pas grand-chose en nourriture fraîche.

Alors qu’elle s’était finalement ralliée à l’idée que le campement de l’Ayerling pouvait receler de quoi le soulager, elle s’y était rendue péniblement. Elle qui pensait son ex inapte à tout fut assez surprise de le retrouver au beau milieu de l’abri dans un état calamiteux :


Sortir par ce temps, dans ton état ? FOU ! Espèce de… etc.

Il avoua avoir été aidé de Noy et, à son grand étonnement, par Théo.

Stupide ! Irresponsable ! Je soignerai pas ta pneumonie. J’ai ton sac !

Elle le lui balança quasi à la figure. Se ravisant, elle jugea que cela serait plus rapide en disant :

… Que veux-tu ?

Sa suggestion lui fit l’effet d’une boisson fortement épicée. Si elle analysait ses dires, il se fichait de prendre une overdose de médocs. Cela faisait trop longtemps qu’elle en avait sournoisement l’envie ; sa main fustigea lui la joue :


Lâche !

Parler était douloureux après quasi six mois de mutisme. Isabel émit néanmoins :

Si crever tu veux, bien ! Mais pas de mon chef délibéré… pas comme toi !... La vie est sacrée. Voilà trois cachets.

Effet ou non ? Difficile à dire. Elle ne rata pas néanmoins un frémissement des doigts droits quoiqu’il prétendît le contraire à son « réveil »
Plissant le nez, elle lui suggéra :


Toilette indispensable…

L’instant d’après, elle alimenta le feu extérieur et y mit de l’eau à bouillir. Vu la température, elle ne serait que tiédasse pour la douche à venir. Si l’Ayerling désirait qu’elle le lave en esclave docile, il serait très déçu, tant mieux !
Amusant ce spectacle ! Étrange aussi. D’ordinaire, un Ayerling était moins… douillet. Quelque chose aurait-il changé ?
Elle en eut le pressentiment quand il lui parut si… énervé et constata :


Drôle de mine…

Sa réplique fut sidérante :


Qu’est-ce que ça peut te faire la tête que j’ai ?...Tu ne me regardes même pas !

Autant qu’elle sache, Alpha s’était toujours fichu de sa propre apparence au même titre que de l’avis de son prochain. Remuée plus que transparu, elle s’occupa de la tambouille l’air détaché de tout. Ses oreilles en entendirent des choses ! Il avait suivi son conseil et s’était fait opérer du crâne ??

*Inhibiteur ? Le renflement était un inhibiteur de sentiments ? *


Il ne se contenta pas d’un bref descriptif, il causa… beaucoup.
Ainsi Tsang lui avait retiré un truc. Depuis, Alpha avait capté des… sentiments vrais ?
Il parlait avec tant de sincérité, n’espérant plus le pardon mais reconnaissant certains… manquements qu’elle sentit une paire de briques se pulvériser.


*Non, NON !*

Un trouble immense l’envahissait, la privant de réactions immédiates. Elle servit mécaniquement le repas qu’il refusa, préférant s’enfiler cinq cachets rouges.
Voulait-il se tuer ?
Elle haussa les épaules devant cette absurdité puis jeta un regard par-dessus le dos tourné. Rêvait-elle ? Il y avait des larmes sous les paupières closes du combattant du futur.


Un étrange conciliabule se tint au dehors légèrement radouci.
Assise dans l’enclos des éléphants, sous sa pelisse avec Artémis contre son flanc, Isabel communiqua avec ses amis. Pas de mots, rien que sons et gestes. Cela pouvait se traduire ainsi :


Que faire de lui ?

Que veux-tu ? Qu’il parte ou reste ?
demanda Théo.

Je ne peux pas le renvoyer dans son état ! C’est mon devoir.

Tu sais qu’il dissimule ses progrès. Ils sont réels !

Noy… il n’a pas levé le petit doigt pour m’éviter tortures et mort ! Même valide, il n’en demeure pas moins…

Ton mari ! dit Snow, la favorite peu loquace du mâle pachyderme. Tu l’as choisi ce compagnon.

NON ! Il m’a été imposé par… par les circonstances !

Un choix reste un choix, dit sentencieusement Théo.

Rentrée sous la tente, elle passa une nuit quasi blanche en se repassant en boucle les paroles incroyables entendue peu avant. Alpha avait démontré clairement avoir fait une sorte d’examen de conscience. Du coup, la sienne était à la torture. En dépit de tout, elle ne pouvait nier la véracité de ses dires. Avec l’implant dans le crâne, Alf n’agissait qu’en croyant faire son devoir, celui qu’on lui avait inculqué ! En être privé le rendait-il meilleur pour autant ?

*Il a encore tué !*

Même s’il s’agissait de ses tourmenteurs, Isabel n’appréciait pas la justice expéditive.
Ses remarques sur la foi avaient aussi fort ébranlé Isabel. Elle n’osait pas imaginer quelle serait sa propre réaction si on lui prouvait brusquement l’inexistence de Dieu. Aussitôt ces pensées émises, elle pria avec plus de ferveur, demandant pardon pour l’essence même de l’idée blasphématoire et réclamant une solution à leur situation.
Au matin, fourbue d’avoir cogité vainement, elle s’équipa et sortit sitôt un petit-déjeuner facilement accessible déposé près de l’handicapé.
Sa décision était prise… pour le moment, n’en trouvant pas de meilleure.
Noy la porta aisément jusqu’au campement de l’Ayerling qu’elle entreprit de démonter pièce par pièce. Ramener le tout au camp se fit sans difficulté, ni perte de temps. De loin, elle aperçut un spectacle « amusant » : Alpha aux prises avec Théo. Manifestement, l’homme exigeait quelque chose que l’animal refusait de lui concéder.


*S’il lui vitupère ainsi dessus, il risque gros !*


Une légère tape sur son large cou, Noy obéit et émit un barrissement aigu. En réponse, le grand mâle recula, privant Alpha de son soutien. S’approchant, Isabel vit le sac bouclé et comprit. Elle se racla la gorge douloureuse depuis l’arrivée d’Alf et dit :

Fou ! Tu n’iras nulle part ailleurs !


Le sac contenant toutes les affaires d’Alf lui atterrit sur les pieds. Elle n’attendit pas qu’il la dévisage pour descendre de sa monture et entreprendre le montage de la tente de l’Ayerling à faible distance de la sienne.
Avec la béquille fournie par la Pierre, l’homme se déplaça vers elle.


Me débrouille ! grinça-t-elle.

Les fixations au sol plantées avec l’aide de Théo, elle entra dans l’abri et rangea sommairement les trucs ramassés en vrac là-haut. Beaucoup de choses futuristes l’intriguèrent dont une plate avec une vitre.


*Un miroir ?*

En sortant, elle tomba nez à nez avec son « mari ».


Chez toi, chez moi ! résuma-t-elle, gestes à l’appui avant de le planter là.

Que parler était dur ! D’abord, elle en avait perdu l’habitude mais un coup de froid aggravait les choses.

Si besoin, t’appelle !

Elle rentra dans son abri se confectionner une infusion de thym qu’elle sucra au miel, remède souverain contre les maux de gorge.

Une cohabitation particulière s’instaura au camp remanié.
Autant que possible, Isabel évita de se montrer lorsqu’elle savait Alpha dehors. Il fit de même, bonne chose ! Une fois, elle le cru dedans, mais il avait clopiné dehors et, très silencieux, se livrait à une activité incompréhensible. Il manipulait son miroir avec grande attention.
Bien emmitouflée, une grosse écharpe au cou, malgré la fièvre qui la rongeait, elle s’approcha :


C’est quoi ?... Livres ? toussa-t-elle.

Elle moucha son nez rougi et s’affala près de lui :

Montre !

Qu’est-ce qu’un Ayerling pouvait lire ? Elle qui s’attendait à du tout et n’importe quoi fut stupéfaite. D’abord, cette tablette recelait un nombre incroyable d’ouvrages. Leur contenu était… sidérant. Guidée par la main valide d’Alpha, elle comprit vite le maniement du bidule et vit défiler des tomes traitant de l’histoire de l’homme mais aussi des romans forts qui reflétaient foule de sentiments humain.

Beau jouet, cracha-t-elle entre deux quintes. Me le prêteras ? … non, pas maintenant… oh, un rhume banal. Ça passera, merci.

Elle eut toutes les peines du monde à regagner son gîte et, respiration sifflante, elle s’écroula sur sa couche, incapable de tout autre effort.
Chaud, froid, chaud, froid. Elle grelottait sans pouvoir supporter ses couches de vêtements.


*Aspirine…*

Elle avait quelque part ce remède « miraculeux » commercialisé à son époque, mais où ?
L’esprit brouillé, elle ne put que tâtonner maladroitement autour d’elle. Le malheur redouté depuis qu’elle avait dû allumer le chauffage dans sa tente se produisit. Le réchaud tomba
.

*Suis abonnée aux incendies involontaires… c’est mon châtiment… les flammes de l’enfer !*

La suite ne fut qu’un brouillard atroce pendant lequel elle délira beaucoup.
Parfois, sa voix rauque lança
:

Alpha ! Alpha !

Elle se crut de nouveau en proie aux affres des tortures inquisitoriales. Seule, abandonnée, réclamant sans cesse un époux si indifférent à ses tourments.
Combien de temps dura cette phase ? Elle ne le sut qu’après qu’une langue râpeuse l’ait réveillée chez… Alpha.
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Alpha 247

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MessageSujet: Re: Fin ou début?    Fin ou début?  EmptyDim 12 Mai - 21:59

C’était bien sa chance, on ne pouvait pas compter avec cet éléphant et voilà que sa femme s’amenait et le traitait de fou, en lui signifiant qu’il n’irait nulle part.

*Oui, pourquoi pas ? Demandé comme ça…Je reste !*

De plus qu’elle avait songé à déménager son campement. Mine de rien, il pourrait même croire qu’elle n’avait pas envie de le voir s’éloigner. Mais restant pratique, l’Ayerling opta pour maintenir profil bas et se garder tout commentaire. D’ailleurs, elle ne semblait en attendre un.
Faute de mieux et manquant d’un appui substantiel pour se déplacer, il clopina péniblement vers la Pierre proche et demanda humblement une béquille. Vœu exaucé, Alpha retourna vers l’endroit où Isabel levait sa tente et se fit rabrouer avant même d’avoir ouvert la bouche. Impossible ne pas remarquer le son rauque, presque grinçant et assez laborieux qui avait remplacé sa voix si harmonieuse. Mais encore là, il se tut et attendit patiemment qu’elle en eut fini avec l’installation et l’aménagement de l’intérieur.

Chez toi, chez moi !, grinça-t-elle.

Facile à comprendre. Encore un sans commentaires, de toute façon pas d’opportunité.

Si besoin, t’appelle !

Ok.

*On ira loin, comme ça !*

En fait, ils n’allèrent nulle part. Elle l’évitait, il jouait son jeu et se faisait discret. S’il l’entendait tousser jour et nuit, elle ne put pas se plaindre d’avoir entendu le moindre mot de sa part. Le climat s’adoucissait, laissant pressentir un retour du beau temps. Entre eux subsistait un silence obstiné.

La toux d’Isabel empirait de jour en jour mais elle ne fit rien pour demander son aide. Ce qui ne voulait pas dire qu’il n’était pas aux aguets, l’oreille perpétuellement tendue, prêt à intervenir au cas où une crise se déclencherait.
Après avoir écouté sa respiration laborieuse et ses quintes de toux grande partie de la nuit, Alpha commençait à se demander s’il ne devait pas s’en mêler, le veuille t’elle ou pas. Muni de sa tablette tactile, il glanait toute l’information possible sur les maladies des voies respiratoires quand sa toux le prévint de son approche, faisant comme si rien, il se contenta de changer de sujet et faire semblant d’être très concentré à la lecture.

C’est quoi ?

*Elle est affreusement enrouée…ça va de mal en pire !*

Une tablette de lecture…une bibliothèque portable.

Il lui suffit de la regarder du coin de l’œil pour savoir qu’elle brûlait de fièvre. Il faisait si doux et Isabel était emmitouflée comme en plein hiver, ses joues étaient rougies, ses yeux brillants, terriblement cernés.

Montre !

Il n’avait osé l’espérer mais elle le surprit en s’asseyant près de lui, mais ce n’était sans doute pas par désir de rapprochement mais simplement parce qu’elle était à bout de forces. Il procéda à faire démonstration de l’usage de la tablette. Prendre sa main, lui fit un effet de quasi insupportable satisfaction mais il resta aussi mécanique que possible tout en guidant ses gestes. Elle sembla très surprise de découvrir qu’il puisse avoir un quelconque intérêt en la lecture et plus encore dans le choix des thèmes.

Beau jouet. Me le prêteras ?, et de tousser à s’en fendre la poitrine.

Bien sûr, quand tu voudras…tu peux l’avoir maintenant, si tu veux.

Qu’elle refuse ne l’étonna pas. Sa main tremblait, sa voix aussi, sa respiration était laborieuse.

Tu es malade, Isabel.

Sa femme, têtue comme elle était, n’admit qu’un rhume banal qui passerait tout seul et regagna sa tente à petits pas efforcés.

*Un rhume ? Oui bien sûr…c’est une pneumonie carabinée, oui !*

Lui courir après, façon de dire, le tarauda mais il se força à rester là, à réfléchir à toute la capacité de ses méninges. Si l’état d’Isabel allait de mal en pire, le sien améliorait à vue d’œil même s’il se gardait bien d’en faire étal. Il pouvait marcher presque correctement et avait récupéré le 80% de mobilité de son bras droit. À ce train-là, dans quelques jours, Isabel jugerait peu nécessaire qu’il reste à proximité et il devrait lui faire plaisir et retourner squatter le sommet de la colline.

La solution à ses torturantes réflexions vint de façon très inattendue et catastrophique. Il avait regagné sa propre tente pour essayer de trouver un peu de repos quand un concert de barrissements et une course aux effets sismiques, le fit bondir à l’extérieur. Le spectacle l’épouvanta : la tente d’Isabel brûlait et celle-ci était à l’intérieur. Sans le penser deux fois, l’Ayerling se précipita. Encore dans sa couche, Isabel semblait évanouie. La fumée était dense et les flammes ne tarderaient pas à l’atteindre. La prendre dans ses bras pour la relever ne lui coûta pas trop d’efforts. Elle n’avait jamais été bien lourde mais là, la jeune femme faisait effet de plume. Les éléphants se chargèrent d’éteindre l’incendie en arrosant les lieux à profusion.

Il la déposa en douceur sur sa couche. Inconsciente, elle claquait des dents. Son front brûlait et sa respiration était devenue sifflante. Alpha s’était assez informé et savait exactement comment s’y prendre. Sa première priorité était faire baisser la fièvre. Sans doute, elle n’agréerait pas ses méthodes mais le moment n’était guère propice aux crises de conscience. On verrait bien après. Ôter les capes de vêtements dont elle s’était couverte lui prit un certain temps, la laissant en chemise, le prochain pas fut de la rafraîchir.

*Elle te tuera en sachant ce que tu fais…*

Peu à peu, la fièvre céda mais ce ne serait pas pour longtemps. Sus à la trousse médicale. Dose massive d’antibiotiques, réhydratation intraveineuse. Délire ravageant. Que son nom revienne de temps en temps lui donna chaud au cœur mais en y pensant bien, c’était peut-être quelque affreux cauchemar qui l’agitait et le mentionner serait rien que pour le maudire. Peu importait ! Il avait l’opportunité de faire quelque chose pour l’aider et le ferait sans attendre une reconnaissance quelconque.
Il lui prodigua tous les soins possibles étant à son atteinte. Une amélioration immédiate n’était pas à envisager, les médicaments devaient agir et cela prendrait le temps qu’il faudrait. Des quintes de toux de plus en plus violentes la secouaient en étant allongée, la redresser à l’aide d’oreillers aida mais si peu, il fallait qu’elle reste pratiquement assise pour que ses voies respiratoires se dégagent, alors il ne trouva rien de mieux que lui servir lui-même d’appui. S’accommodert à son dos, la prendre dans ses bras et la soutenir sembla donner des bons résultats. Elle respirait mieux, la fièvre avait baissé et enfin Isabel dormait, apaisée. Artémis entra une paire de fois et s’assurant que tout allait bien, retournait prendre sa faction à l’entrée de la tente.
Cela dura trois jours, jusqu’à ce que l’amélioration soit évidente. Plus de 24 heures sans fièvre, respiration plus aisée, elle dormait toujours, assommée par la force des médicaments administrés. Parfois, elle s’agitait pendant son sommeil, en proie de cauchemars, demandant pitié, l’appelant, lui, implorant un pardon qui n’avait su venir. Il la berçait alors, cherchant à la calmer alors que sa propre conscience entamait un calvaire douloureux. Chaque seconde de cette proximité volée serait son trésor pour les lendemains à venir qu’il envisageait sombres et solitaires.

La fatigue finit par prendre son dû et il s’était tout bêtement endormi, allongé sur le sol, la tête appuyée sur le bord de la couche. Ce fut le joyeux manège d’Artémis, entrée en catimini, qui le réveilla et la première chose dont il fut conscient fut du regard affolé d’Isabel, posé sur lui.

Du calme…tout va bien, je peux tout expliquer…tu te sens bien ?

Apparemment oui, mais l’éclat de ses yeux restait assez interloqué. Il se redressa, se passant la main dans les cheveux, essayant de sourire, rassurant.

Tu as été malade, Isabel, très malade. Ce n’était pas un simple rhume…enfin…ta tente a brûlé, je pense que le réchaud a dû tomber…Je t’ai sortie de justesse mais tout va bien maintenant…plus de fièvre et ta voix n’est plus si rauque…Ça ne te fait plus mal, n’est-ce pas ?...Ta gorge, je veux dire…

En effet le son jailli n’était plus éraillé, sa voix avait récupéré une tessiture presque normale et sa femme, sa combativité habituelle.

Tu vas m’excuser mais je ne pouvais pas te laisser comme ça… la fièvre m’a donné du souci mais les médicaments spécifiques sont venus à bout de l’infection…Ben, oui…entre le contenu de mon sac et la Pierre…Oui, c’est moi qui t’ai déshabillée. Désolé, ma chérie…mais Noy ne savait pas comment s’y prendre et il fallait parer au plus vite !

Comme prévu, cela ne sembla pas la ravir mais faisant cas omis de cela, il s’empressa de lui faire avaler sa dose de médicaments, en supposant qu’elle n’agréerait pas trop d’en être injectée, comme jusque-là. La suivant phase de l’opération fut lui présenter un bol de bouillon.

Oui, c’est moi qui l’ai fait…tu vois Artémis aux fourneaux ? Bois tant que c’est chaud, c’est bon pour toi…et si tu veux et te sens d’aplomb, l’eau est chaude pour une douche. Il y a des vêtements frais…euh, les tiens ont cramé, désolé…mais la Pierre est très compréhensive.

Il n’alla pas jusqu’à lui proposer de la soutenir lors de son bain mais resta attentif à un appel au secours. Elle n’avait pas l’air bien gaillarde en revenant de sa séance de toilette et frissonnait malgré la douceur ambiante.

Retourne t’allonger, j’ajoute une briquette au chauffage…Tes cheveux dégoulinent…attends, je t’aide à les sécher !

Si jouer à la camériste aidait à quelque chose, il s’y mit avec entrain. Il essora, démêla, peigna avec une patience d’ange, en s’enivrant au passage, de l’arôme frais de sa peau et de sa chevelure humide. Quand elle assura que ça allait, il accommoda oreillers et coussins à son dos, ramena soigneusement la couette pour la couvrir et lui mit entre les mains la tablette tactile.

Vais pêcher un peu, du poisson frais sera un changement bienvenu au menu et ça te fera du bien, je ne tarde pas ! Artémis reste avec toi…

Elle sembla un peu surprise de constater sa bonne mobilité.

L’hématome s’est réabsorbé…tout va bien et un peu d’exercice ne saura nuire, je boite encore un peu mais ça finira par passer… tu as tout ce dont tu as besoin ? Je serai de retour pour te donner tes médicaments.

La pêche fut fructueuse mais encore plus sa rencontre avec le louveteau. Pour quelque raison qu’il soit, la petite bête errait, solitaire et évidemment perdue. C’était très étrange de se trouver avec un loup dans cette contrée mais Alpha savait à ses dépens que tout était possible dans ce monde bizarre. Peut-être sa meute était descendue à la vallée avec l’hiver, en quête de nourriture. Il pouvait perdre son temps à élaborer toute classe d’hypothèses mais opta plutôt pour prendre en charge le petit égaré qui ne rechigna pas le moins du monde d’être adopté de la sorte.

Poissons pouvant attendre, Alpha passa de suite à la chambre où Isabel, très confortablement installée, s’adonnait consciencieusement à la lecture sur la tablette.

Tu as meilleure mine…oui, j’ai des poissons…mais aussi cela… regarde, je l’ai trouvé en revenant…

Et de sortir de sous sa veste la boule de poils gris clairs qui rouspéta d’être réveillée de son petit somme. Elle écarquilla les yeux mais tendait déjà les mains.

C’est un loup…un tout petit loup…sais pas, j’ai pas entendu la meute…euh, non…de mon temps pas de loups mais j’ai lu à leur sujet. Des animaux fascinants…il m’a suivi un bout de chemin…il est perdu…alors je l’ai ramené, après tout, on est tous perdus ici !

Isabel s’impatientait de prendre la petite bête mais pour une étrange raison il n’avait pas trop envie de la lâcher pour le moment. Le louveteau semblait se sentir à l’aise et cherchait son contact en se nichant contre lui, qui flattait doucement son pelage.

Je crois que je lui plais !
, et il en était sincèrement surpris, il est maigre...que mangent les petits loups ?

Isabel donna son avis non sans faire un peu la moue face à son peu d’envie de lui passer le petit. Elle raffolait de toute bestiole. Artémis se montra aussi très intéressée par le nouvel arrivant et force fut de le poser sur la couette pour le laisser subir un examen en toutes règles.
La rencontre fut plutôt amicale et le louveteau ne se plaignit pas des coups de langue de bienvenue que lui prodigua l’hybride sous l’œil radouci de la jeune femme. Alpha aurait donné n’importe quoi pour mériter la moitié, le quart même de tant de bienveillance.


Jack. C’est le nom qu’elle trouva pour le petit, en honneur du mari de sa cousine Charmian, qui avait écrit un magnifique roman sur un loup : Croc Blanc. Il n’avait rien à redire et même si, s’en garda bien. Le louveteau l’avait conquise et l’amusait avec ses jeux maladroits. Artémis l’avait aussi adopté mais au grand dam de ces dames, Jack semblait l’avoir choisi comme maître et le suivait partout comme une ombre. Au début, cela l’avait pris de court. Il n’était pas habitué à l’affection et encore moins à la dévotion mais se sentir accepté et aimé, ne fusse que par un animal, lui produisit une sensation extraordinairement agréable.

Isabel avait repris forces et couleurs. Le temps avait sensiblement amélioré lui permettant de sortir. Les premiers jours elle n’alla pas bien loin, tout au plus à la Pierre ou visiter ses amis pachydermes qui lui faisaient à chaque fois la fête. Puis un matin, elle assura se sentir d’aplomb pour monter sur Noy et aller au fleuve.


Si ça te va…je suivrai avec Jack.

Elle agréa, allant même jusqu’à lui proposer de monter sur Theo.

Euh, crois pas que ce soit une trop bonne idée…il me blaire pas trop, le gros mec !

Mais déjà elle appelait le grand mâle et dans leur langage lui expliquait ce qu’on attendait de lui. Théo secoua sa grosse tête, tout en lorgnant l’Ayerling d’un regard sentencieux pour après lui assener une tape pas trop amicale de sa trompe.

Tu vois bien…veut pas !...Je ne suis pas lâche, quelle idée !...Ah bon ? Il veut bien ?...Ça reste à voir !

La jeune femme lui indiqua comme s’y prendre, assurant que cela n’avait pas de science et pour mieux faire, se livra à une démonstration en se juchant sur Noy en un clin d’œil. La théorie était d’une simplicité engageante. La mettre en pratique tout autre chose. Théo était un gros malin, il faisait tout juste semblant d’agréer le souhait d’Isabel alors qu’en fait il s’amusait à faire tourner Alpha en bourrique.

C’était la troisième fois que l’éléphant l’envoyait rouler dans l’herbe. Isabel, sur Noy se marrait en douce.

*Enfin un sourire…elle se fiche de ma poire mais si ça la rend heureuse.*

Écoute, mon vieux…arrête de me la jouer faux… Elle va penser que je suis un inutile…Allez, un peu de collaboration !

Théo leva sa grosse patte, il s’accrocha à l’oreille et prit son élan, jusque-là, tout baignait. À point de se réjouir en se trouvant juché sur le colosse, celui-ci le balaya de son dos d’un gentil coup de trompe. Jack accourut lui lécher le visage, consolateur. Isabel, elle, éclata carrément de rire. Alpha se redressa sur un coude et la regarda, ravi. Ce rire lui avait tant manqué. Enjoué, Théo tendit sa trompe et l’enroula à son bras pour le relever.

C’est ça…joue les polis, maintenant. T’as pas assez de te foutre de moi ?

Apparemment non, mais le guerrier avait saisi l’astuce et se hissa de nouveau sur le dos du facétieux.

Et tu as intérêt à ne pas me jouer un de tes tours, ok ?

En riant toujours, Isabel donna l’ordre de mise en marche et le petit convoi se mit en route, suivi d’Artémis et Jack qui jouaient à se poursuivre comme des fous. Alpha s’adapta rapidement au balancement et finit par trouver l’expérience plaisante. Arrivés au fleuve, si Noy se montra la délicatesse même pour permettre à sa cornac de mettre pied à terre, Théo, lui, s’y prit à sa façon et l’Ayerling se trouva « gentiment » propulsé dans la flotte. Encore une bonne raison pour donner libre cours à l’hilarité d’Isabel.

Je vois que ça t’amuse beaucoup…tu ne te serais pas mise d’accord avec le drôle, par hasard ?...Oh, pas de mal…rien ne me plaît plus que prendre un bain tout habillé…Tu veux marcher un peu ?...Euh, sais pas…juste marcher un peu…Tu as beaucoup d’aisance pour conduire Noy…je sais, vous vous communiquez, c’est peut-être ça qui fait râler Theo…ah bon ? Il me trouve obtus ?...Quel toupet…Dis-lui que je pense la même chose de lui !

Elle sourit en disant que c’était à lui de s’en charger s’il voulait s’entendre avec Theo. L’air était doux, la nature se parait de renouveau après la glace de l’hiver. Auparavant, il n’avait jamais eu conscience de ce qui l’entourait, pour lui le paysage n’était qu’un décor de fond où tout pouvait être un piège. Son existence n’avait été qu’analyse exacte pour la plus précise performance. Lutte et survie d’un idéal. Maintenant, tout avait changé. Sa perception des choses était tout autre mais ses réflexes demeureraient les mêmes et la retint fermement alors qu’elle trébuchait. Isabel le remercia et ne rechigna pas il continua à la tenir du bras jusqu’au moment où elle se hissa sur Noy.

Theo se montra raisonnable et ne lui joua aucun tour pendable pendant le retour. Isabel était fatiguée en arrivant au campement, sans demander son avis, il la cueillit, sollicite, à sa descente de monture et la mena directement à la tente.

Ça a été bon pour un jour, tu ne dois pas abuser de tes forces…repose toi, je m’occupe du repas !

Elle consentit à s’allonger un moment ,mais pas à qu’il approche des fourneaux en assurant que si bien plein de bonnes intentions son talent comme cuisinier laissait beaucoup à désirer.

C’est gentil de le tourner comme ça…et dire que je t’ai épargné mes rations de survie !

Jack grandissait rapidement, pas aussi vite que l’avait fait Artémis mais au début de l’été il avait atteint une taille très respectable, au-dessus de ce qui aurait été la moyenne de l’espèce, en autres temps et lieux. Restant espiègle et enjoué, comme un louveteau, Jack démontra tôt sa magnifique capacité de chasseur. Il était rapide et extraordinairement endurant pour poursuivre et traquer sa proie. Indéfectible compagnon de l’Ayerling, il n’était guère rare de les voir partir, tous deux pour une randonnée de chasse de laquelle ils ne rentraient jamais les mains vides. Satisfaits et à peine fourbus, ces deux-là se complémentaient à la perfection. Un loup sans meute et un guerrier sans Maître omniscient à qui servir.

Alpha avait craint qu’une fois tout à fait rétablie, Isabel demanderait une autre tente à la Pierre et insisterait pour s’y installer, à prudente distance de lui. Qu’elle n’en fasse rien le surprit, très agréablement, mais ne songea même pas à toucher le thème. Il se contenta de faire des ajouts nécessaires à la sienne pour la pourvoir de plus de confort pour Isabel. Lui, se fichait pas mal de dormir dans son sac de couchage, installé dans un coin, en compagnie de Jack, mais à la longue cela pourrait faire croire à « sa femme » qu’il cherchait à se faire valoir comme pénitent en crise de mea culpa. Une nouvelle chambre, confortable matelas et son barda rangé en parfait ordre firent l’affaire. Il aménagea un coin cuisine plus grand et mieux équipé pour lui rendre la tâche plus facile, vu qu’elle insistait à préparer les repas.
L’existence s’était organisée en termes de bonne camaraderie. Sans plus. L’idée de reprendre leur vie en commun là où le drame l’avait rompue restait répudiée de tacite accord. Alpha s’interdisait d’y penser et était convaincu qu’Isabel agissait de même. Sans doute, était ce mieux ainsi. Leur « mariage » n’avait pas été un succès. Ignorance, méprise des faits, attentes inavouées, ils avaient cru que ce qu’ils sentaient alors, suffirait pour surmonter tous les accueils. Grave erreur. Il demeurait un Ayerling borné à sa rude discipline, elle rêvait d’amour romantique, dévoué. Parfois, pendant ses longues nuits solitaires, Alpha se récriminait durement d’avoir raté toutes les cases possibles. Revenir en arrière n’étant pas envisageable, ne restait qu’à miser sur l’avenir, et en attendant, faire au mieux pour le présent.

S’entendre avec Theo prit son temps. Le gros mâle restait bourru mais semblait accepter que finalement Alpha n’était pas si mauvais bougre que ça et peu à peu un respect réciproque s’instaura entre eux. Le guerrier s’avéra être un cornac très acceptable mais continuait de préférer se mobiliser à pied, au grand bonheur du loup qui ne voyait pas de trop bons yeux, de le voir juché hors d’atteinte, sur le dos du pachyderme.
Ce fut pendant une de ces balades en éléphant que l’idée germa. Partir. Aller découvrir d’autres horizons. Certes la vie dans leur petite vallée aurait pu être qualifiée d’idyllique. Le coin était giboyeux, la pêche bonne, ils avaient une Pierre pour leur usage exclusif. Rien de quoi se plaindre.
Tout aurait été parfait si depuis un certain temps, l’Ayerling n’avait perçu certaines évidences sur le fait de ne plus être seuls. Restes de feux, pièges pillés. Au début, cette présence humaine s’était limitée à la profondeur des bois mais peu à peu, se rapprochait de leur domaine. Isabel fut mise au courant avec autant de tact que possible.

Je ne veux pas t’alarmer, il se peut que ce ne soit qu’une seule personne ou tout au plus un groupe réduit. Ils n’ont pas encore découvert cet endroit mais ne tarderont pas à le faire…Isabel nous sommes bien établis et ça ne fera qu’éveiller leur convoitise, c’est dans la nature humaine…Oui, il faut nous tenir sur nos gardes et assurer le périmètre…Tu l’as dit, c’est minable mais c’est ainsi…Pas de risques inutiles…Je sais que tu sais te défendre et qu’Artémis est un atout formidable mais ce serait mieux, jusqu’à être sûrs de ne pas t’éloigner du campement…

Elle n’agréa pas trop ces nouvelles restrictions mais finit par s’y plier même si d’humeur morose. Il s’occupa de la défense, pratiquement invisible pour un non averti. Le temps finit par lui donner raison. L’alarme se déclencha un soir, alors que près d’un joyeux feu, Isabel et lui se livraient à une acharnée partie de dames. Elle était en train de gagner.

Artémis et Jack, tous deux montrant crocs et griffes, échine hérissée, oreilles plaquées, prêts à sauter à la gorge du premier qui ferait un pas tenaient en respect deux hommes et une femme, d’allure peu engageante. Alpha calma les bêtes et dévisagea calmement le trio.

Vous venez d’entrer dans un domaine privé, j’espère que vous en êtes conscients. Que voulez-vous ?

L’un des hommes, un balèze peu commode partit d’un rire gras.


Dites donc, le Monsieur y croit ferme, hein ?...Domaine privé…tu déconnes mon gars, ici ça n’existe pas !

Ici oui, si je le dis. Si vous le voulez on peut vous laisser demander ce dont vous aurez besoin, à la Pierre mais après…vous partez.

Il veut rire, cet idiot, lança la femme, t’as pas compris, mon pote…on en a marre d’errer par-là, en vivant comme des bêtes et toi tu as un petit coin sympa…Dégage plutôt avant que mon homme ne te réduise en charpie.

Ce ne sera pas facile, assura l’Ayerling, avec un sourire angélique, je suis un guerrier d’une élite très spéciale mais si vous insistez…

L’autre homme siffla et quatre autres individus tout aussi patibulaires jaillirent des fourrés.

Suis franchement épaté…y en a d’autres ?

À voir leurs têtes, non ! Ils étaient armés de gourdins rudimentaires et la femme portait un javelot à pointe de silex. Isabel apparut derrière lui, l’arc tendu.

Nous ne voulons aucun problème. Faites vos demandes et passez de large !

Ils crurent à la supériorité du nombre. Mal leur en prit. L’affaire fut réglée en deux temps trois mouvements. Sans merci.

Désolé, à la guerre comme à la guerre…on n’avait pas de choix, c’était eux ou nous !

Suivant l’habitude de ce monde, les corps s’évaporèrent. Alpha avait craint que cette utile coutume n’ait été dérogée après l’exécution de l’Inquisiteur et complices, dont les corps torturés étaient restés bien en évidence. Il n’en souffla mot à Isabel, déjà suffisamment secouée par les évènements de la soirée.

À bout de nerfs, elle finit par éclater en sanglots, alors, pour la première fois depuis leurs retrouvailles, il osa la prendre dans ses bras, se montrant le plus rassurant possible. Cela ne dura pas longtemps, se reprenant, elle se défit de son étreinte, sécha rageusement ses larmes et grommelant qu’ils devaient parler, s’éloigna en toute hâte. Il la suivit, le cœur lourd.

Alpha s’était attendu depuis longtemps à une mise à jour comme celle-là. Restant très pragmatique et en apparence très calme, Isabel mit leur situation sur le tapis. Elle voulait tout simplement savoir à quoi s’attendre de sa part, dans le futur.


Tu n’as rien à craindre de moi, Isabel. Je resterai à ma place tant que tu ne décides autrement, c’est tout. Je pense avoir bien appris ma leçon. Si tu veux un ami, c’est ça que je serai, rien d’autre, rassure toi !

Cela sembla suffire, pour le moment. Plus rassérénée, elle fut prête pour entendre ce qu’il avait à dire, sur un autre thème.

Le danger immédiat est écarté mais cela ne signifie pas qu’il n’y en aura pas d’autres, comme ceux-là. Pas difficile de s’imaginer que beaucoup de gens courent la nature à la recherche d’une bonne occasion. La survie ne peut être garantie qu’en groupe. C’est pour ça que j’ai pensé qu’il était temps de se mettre à la recherche d’un groupe civilisé…Oui, comme celui d’avant…Je sais, pour ce que ça nous a avancés mais il doit bien avoir d’autres éclats de société par là… Ceux qui sont partis avec le ballon, l’ont fait dans la même intention…

Elle ne semblait pas trop convaincue.

Isabel…si nous restons ici, tôt ou tard, viendra un groupe plus nombreux, mieux préparé qui aura le dessus et ils ne voudront sûrement pas nous inviter à nous joindre à eux…tu sais bien quelle est la destinée des vaincus : mort ou esclavage. Suis sûr que tu n’as envie ni de mourir ni d’être l’esclave de quiconque.

Un point de marqué? Elle demanda néanmoins plus de détails sur son projet…
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Isabel Kittredge

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MessageSujet: Re: Fin ou début?    Fin ou début?  EmptyVen 7 Juin - 13:09

Si chaud, si froid ! Alpha présent ou absent.
Semi-comateuse, Isabel reprit le sens des réalités. Tout se bouscula sous son crâne avec une vitesse affolante. Que faisait-elle-là, en chemise, sous la tente de ce prétendu époux qui l’avait lâchement reniée au premier os ?
Il remarqua son air suffoqué, voire outré, et tenta de calmer le jeu avec un tas d’excuses où il se donnait, évidemment, le bon rôle : celui du sauveur !


*Malade ? Comme si je l’ignorais !... Ah… tente cramée, ben tiens ! *

… Ça ne te fait plus mal, n’est-ce pas ?...Ta gorge, je veux dire…

La gorge, ça va, merci ! toussota-t-elle encore un peu. *Mon cœur ne se raccommodera jamais, lui !*

Pas à dire, cependant, l’Ayerling semblait aux petits soins avec elle. Il lui expliqua de long en large comment il s’y était pris pour la guérir de sa pneumonie, la dévêtir, la ramener à la santé. De là à lui proposer une soupe instantanée et un bain, il n’y avait qu’un pas qu’il franchit allègrement.
C’était… sympa, sans plus.
Se rafraîchir lui fit du bien tout en l’épuisant. Par veine, Alpha avait respecté sa pudeur et l’avait laissé se débrouiller seule.
La Pierre avait remplacé sa garde-robe brûlée de façon très… bizarre. Était-ce chrétien des trucs pareils ? Point de dessous long mais des choses minuscules, euh, cache-sexe( ?) en soutien-gorge, pas de baleines mais deux demi-lunes à placer sous les seins ; ça maintenait très bien avec une bénie liberté de mouvements. Des pantalons ! Cela faisait longtemps qu’Isabel en rêvait. Sa fatigue eut raison de son enthousiasme premier. Sa rancœur refit surface non sans une pointe d’humour ou… d’humeur :


*Si ta garde-robe crame un jour, tu verras comme tu seras attifé, Alf !*

Sortant de son bain, bien que pimpante, le froid la saisit à nouveau.


*Idiote ! Tes cheveux…*

Prévenance personnifiée, l’Ayerling s’occupa de tout :

Retourne t’allonger, j’ajoute une briquette au chauffage… Tes cheveux dégoulinent… attends, je t’aide à les sécher !

Elle l’aurait volontiers envoyé se faire pendre mais c’était si bon de se laisser, enfin, dorloter un peu.
Il prenait soin d’elle mieux que sa propre mère…


*Mais elle ne m’aurait pas livrée en pâture à des tortionnaires même si j’avais été coupable, elle ! *

Tiens, il avait récupéré beaucoup de mobilité, cet homme de glace ?

L’hématome s’est résorbé… tout va bien et un peu d’exercice ne saura nuire, je boite encore un peu mais ça finira par passer… tu as tout ce dont tu as besoin ? Je serai de retour pour te donner tes médicaments.

*C’est ça, casse-toi !*

Seule un large moment, Isabel préféra oblitérer ses pensées le concernant. Elle se concentra sur le futur en s’interrogeant :

*Il va mieux… donc, il pourra partir bientôt. Ouais, il aurait pu me laisser crever, faut croire que le remord l’a atteint... bien fait ! S’il pense effacer sa dette par quelques attentions, il y perdra ses dents !*

Trop faible encore pour soutenir un raisonnement parfaitement cohérent, elle s’assoupit. Point d’Alpha à son réveil. Qu’à cela ne tienne, une tablette longtemps convoitée et à peine explorée ne demandait qu’à être testée. Elle y chipota sans parvenir à fixer son attention, laissant certaines phrases piquées au hasard l’imprégner :

« La vie est comme un arc-en-ciel: il faut de la pluie et du soleil pour en voir les couleurs. »
« La vie offre toujours deux pentes. On grimpe ou on se laisse glisser. »
« Vous êtes son amour, craignez d'être sa haine. »
« On peut faire beaucoup avec la haine, mais encore plus avec l'amour. »


Ces citations la tourneboulèrent jusqu’au moment où Alpha rentra avec un singulier compagnon : un louveteau. Elle se ficha aussitôt des citations, du succès de la pêche, elle voulait simplement étreindre cette boule de poils, mais l’homme en décida autrement. Après lui avoir expliqué le comment de sa trouvaille, il en sembla ravi, sans la lui concéder une seconde :

Je crois que je lui plais ! Il est maigre... que mangent les petits loups ?

Tes lectures ne t’ont pas renseigné ? La nourriture que régurgite leur mère ! Tu te sens prêt pour ça ? Sinon, une bouillie de viande devrait faire l’affaire, grinça-t-elle, déçue.


Par l’intermédiaire d’Artémis, très intéressée par la petite bête, Isabel obtint gain de cause et put caresser le bébé loup :

Tu t’appelleras Jack ! Ça te va ? Mon « beau-frère » serait fier qu’un loup porte son nom ! Tu devras lire ce roman, Alf…

Plusieurs jours s’écoulèrent dans la... douceur( ?) de vivre.
Le temps était nettement redevenu clément. Partout la nature foisonnait de nouveau. Assez rapidement, Isabel reprit physiquement des forces. Tout aurait été bien si le moral n’avait pas été aussi atteint. Extérieurement, elle paraissait en meilleure forme. Pour l’interne, on repasserait.


*Pourquoi il ne part pas ?... S’il savait à quel point il m’agace avec ses prévenances à la noix,, etc.*

Il la surveillait sans cesse, ou presque, toujours prêt à lui empêcher toute fatigue inutile, jusqu’à lui refuser de trop s’éloigner ! Il se mettait même en quatre pour ramener des trucs faciles à cuire. Touchant ? Non ! Exaspérant !
U jour elle n’y tint plus :


Je monte Noy ; on va au fleuve... à pied, avec Jack ? Prends plutôt Théo.

Il n’apprécia guère la proposition, exactement comme elle l’escomptait pour se débarrasser de lui.

*Un Ayerling n’a peur de rien ? Mon œil !*


En quelques claquements de langue et bruits gutturaux, elle appela le grand mâle qu’elle avait apprivoisé.

*Viens mon beau ! Apprends l’humilité à cet idiot !*

En démonstration, elle grimpa sur le dos de sa femelle d’adoption et attendit qu’Alf se débrouille.
Quand, après trois essais infructueux, l’homme du futur se retrouva de nouveau à rouler dans l’herbe, elle ne put réprimer un sourire spontané.


*Il ne sait décidément pas tout faire. C’est… rassurant…*

Rassurant de normalité…
Cette fois l’Ayerling tenta d’amadouer l’éléphant en paroles :

Écoute, mon vieux…arrête de me la jouer faux… Elle va penser que je suis un inutile…Allez, un peu de collaboration !

Leste, comme à l’ordinaire retrouvé, Alf parvint à se jucher sur le cou de l’animal. Théo n’apprécia pas et le délogea d’un grand coup de trompe.

Trop marrante la tête dépitée d’Alf et le réconfort reçu de son loup ! Cette fois, le rire oublié d’Isabel s’égrena dans l’air serein. Dans son éclat se mêla quelques cliquetis signifiant :


*C’est bon ! Tu le prends si tu veux, Théo !*


Docile, il alla relever son futur cornac et ne le vida plus de son siège.
Beau temps, balancement agréable par l’habitude, Isabel avait de quoi se sentir bien. Ne venait-elle pas de rire pour la première fois depuis ce qui lui semblait des années ?
Majestueux, le fleuve s’écoula bientôt aux pieds des éléphants. Noy, formidable, sentant un reste de faiblesse physique chez sa mère d’adoption, facilita la descente d’Isabel.
Le facétieux Théo n’en fit qu’à sa guise avec son monteur qu’il expédia, sans procès, valser à la flotte. Isabel dut se tenir les côtes de rire, ce qui rendit la victime mi-figue mi-raisin :


Je vois que ça t’amuse beaucoup…

Impossible autrement !

Tu ne te serais pas mise d’accord avec le drôle, par hasard ?

Il n’est pas drôle, c’est toi qui l’es ! Tu ne t’es pas blessé, au moins ?

Oh, pas de mal… rien ne me plaît plus que prendre un bain tout habillé…Tu veux marcher un peu ? Juste marcher un peu…Tu as beaucoup d’aisance pour conduire Noy… je sais, vous vous communiquez, c’est peut-être ça qui fait râler Theo…

Non ! Ce qui l’agace c’est ton côté obtus.

Quel toupet…Dis-lui que je pense la même chose de lui !


Tu le lui diras toi-même mais il le sait déjà…


Ils marchèrent un peu. Très peu car, à son grand dépit, Isabel devait reconnaître qu’Alf avait raison quant à ses faiblesses. Jambes mal assurées, elle faillit s’étaler sauf que, évidemment, son « mari » veillait.

Une foule de pensées agitèrent Isabel après le retour au camp. Il était indéniable qu’Alpha avait... changé. La manipulation de Tsang était-elle un bien ou un mal ? Jusque-là, elle ne pouvait décemment se plaindre ; ni par après du reste.
Sans qu’elle l’ait réclamé, comme devançant ses désirs muets, Alpha aménagea leur habitat de façon à être à l’aise l’un et l’autre. Quand il s’éloignait aux provisions de bouche en compagnie de son grand copain-loup, Isabel se refusait à réfléchir. Pourquoi raviver des douleurs, se compliquer l’existence, et ne pas simplement se contenter du temps présent ? Avoir un ami n’était pas si mal après tout !
Si les ex-époux cohabitaient, ils parlaient peu ensemble, et strictement jamais du passé.
Néanmoins, ils échangèrent de bonnes parties de plaisir, notamment à l’apprentissage du vocable développé avec les éléphants. Alpha n’était pas très doué, de quoi la faire marrer lorsqu’il confondait geste à joindre aux bruits de bouche. Théo rigola aussi… à sa façon.
Les jours et soirs s’écoulèrent, paisibles, dans ce petit coin parfait. Il chassait, elle cuisinait. Il bricolait, elle lavait le linge, rafistolait, lisait. Les soirs ils étudiaient les langues, comparaient leur journée, commentaient des passages de textes lus en commun, jouaient aux dames, aux cartes : la routine de bons amis.
Puis, après une de ses chasses avec Jack, Alpha lui tint des propos alarmants : ils n’étaient plus seuls dans le secteur !


Il se peut que ce ne soit qu’une seule personne ou tout au plus un groupe réduit. Ils n’ont pas encore découvert cet endroit mais ne tarderont pas à le faire…

Misère ! Depuis le rapatriement d’Alpha au camp, elle avait omis de remettre en place les barrières anti-intrusion. Avant, elle les avait toutes tournées vers le seul dont elle se méfiait réellement: lui !
Elle tenta de ne pas se laisser gagner par la panique :


Ils n’entreront pas ! On peut délimiter une frontière. Elle sera infranchissable, d’autant qu’Artémis veillera, si…


Il ne la laissa pas finir, lui intimant de restreindre ses déjà rares déplacements.

*Ces hommes…*

Il oeuvra de son côté, elle du sien. Aux éléphants, elle intima de barrir en cas d’approche humaine inconnue et de la labourer si ennemie. Artémis reçut à peu près les mêmes recommandations avec ordre de ne croquer qu’en cas de nécessité prouvée. Hélas, sa communion totale avec la nature s’était émoussée depuis l’incendie de sa tente sinon les envahisseurs auraient été bien molestés avant leur entrée et dégoûtés de pénétrer leur territoire.
Le système d’Alpha fonctionna en même temps que le signal des pachydermes.
Le temps d’attraper son arc, Isabel vit l’Ayerling dans toute sa splendeur guerrière en train d’affronter 6 individus déterminés à s’approprier leurs biens. Ils eurent le malheur de se moquer de lui…
Elle ne décocha pas sa flèche, détournant les yeux, écoeurée du spectacle lamentable qui s’en suivit. Même sans Artémis, l’Ayerling aurait pris le dessus.


*Il n’a pas changé… En rien... rien n’a changé !*

Rage mêlée d’un désespoir auquel elle ne savait donner une vraie cause, elle craqua. Rage contre qui ? Elle, lui ? Au fil des jours, à le voir si différent, elle en était arrivée à imaginer que peut-être une lueur subsistait pour qu’il soit autre chose qu’une machine à tuer, froide, impitoyable ! Et là…
Elle était anéantie par sa propre bêtise et ne se réveilla qu’en constatant qu’il la tenait dans ses bras « consolateurs »
Elle se dégagea, fermée :


On doit parler.

Réchauffer une soupe, verser de l’hydromel, lui permit de rassembler ses idées.

Alpha… Tu viens de démontrer « brillamment »* encore et toujours* tes « talents » ! Je sais que tu pensais « bien faire »... Qu’en est-il du sort que tu me réserves… ?

Elle ne pouvait faire abstraction de la façon infâme dont il l’avait traitée. Si cela tombait, au moindre manquement à son code personnel, Alpha la renverrait aux inquisiteurs !

Tu n’as rien à craindre de moi, Isabel. Je resterai à ma place tant que tu ne décides autrement, c’est tout. Je pense avoir bien appris ma leçon. Si tu veux un ami, c’est ça que je serai, rien d’autre, rassure toi !

Avant l’intervention du moine bouddhiste sur le crâne de son ex-mari, Isabel l’aurait cru les yeux fermés, et aurait été réjouie de le faire. Maintenant…

*Je te laisse le bénéfice du doute… mieux que tu ne me l’as laissé, toi…*

Ensuite l’Ayerling lui parla d’avenir, de leur avenir immédiat : partir. Selon lui, leur seule chance de survie était de s’adjoindre un groupe « civilisé ». Il reconnaissait que le précédent n’avait pas été très… correct. Néanmoins, ses arguments tenaient la route :

Tu sais bien quelle est la destinée des vaincus : mort ou esclavage. Suis sûr que tu n’as envie ni de mourir ni d’être l’esclave de quiconque.

Mourir, elle s’en fichait un peu pour l’avoir déjà pratiqué et failli récidiver. Par contre, devenir esclave d’une bande de porcs sauvages…

On s’accorda. Le lendemain, ils organisèrent leur départ.
Emballer les effets indispensables prit peu de temps. Par sécurité, ils salèrent viandes et poissons en quantité pour trois jours de disette de chasse. Question eau, on se fierait à l’instinct des animaux ; quelques outres de réserves s’emplirent. Il fallut surtout confectionner un harnachement convenant au dos des éléphants. Se souvenant de récits exotiques, Isabel parvint à soutirer à la Pierre suffisamment d’informations afin de concrétiser ce projet. De grands paniers furent tressés et ajustés aux flancs des femelles sans trop de difficultés. Par contre le majestueux Théo refusa obstinément l’harnachement.

*Si c’est pas macho, ça… !*

Contraints, les humains se résignèrent à n’utiliser que Noy et Snow pour porter les paquets qui, pour elles, ne pesaient quasi rien.
Avant le grand départ, dans l’aube grisâtre habituelle de la vallée où elle avait vécu des mois en harmonie avec la nature, Isabel se recueillit une ultime fois devant la Pierre. Elle ne demanda rien, se confondant juste en remerciements des dons accordés depuis son arrivée.


Quelle direction prenons-nous ? lança-t-elle à Alpha dès que Noy la reçut en cornac.

Va pour descendre le fleuve !
Une demi-journée s’écoula au rythme houleux des épaules des pachydermes. Lorsqu’elle était seule et en forme, Isabel avait parfois voyagé ainsi du matin au soir sans problème. Là… elle souffrit au bout de quatre heures de voyage. Alf, encore moins rompu qu’elle à ce sport, devait probablement ressentir les besoins d’une pause. Pourtant, il ne pipa mot ; elle non plus. Une espèce de rivalité idiote quant à la ténacité les maintint en « selle ». Puis, les urgences de la nature obligèrent Isabel à la rompre.
La pause établie, pour se sustenter ils s’assirent sur la rive déserte couverte de galets ronds et dorés.


C’est plus fatigant que je l’imaginais, dit-elle en se massant les reins douloureux.

Il reconnut – chose étonnante – en être au même point.


Je suppose que l’on manque d’entraînement. Cela s’améliorera avec le temps. Redis-moi, s’il te plait, comment étaient le ballon et le décollage…

Il s’exécuta non sans laisser transparaître comme un regret( ?)Elle en profita pour laisser filtrer une part des siens propres :

Tu t’es beaucoup impliqué dans le dirigeable. Si tu n’avais pas tant aidé, ils n’auraient pas décollé. Ce projet insensé a coûté énormément… à tous…

S’il voulut déclencher un débat, elle le ferma vite fait :


En selle ! Avançons encore avant la nuit !


Derrière eux, voire devant, batifolèrent gaiment Jack et Artémis. Quel couple, celui-là ! Le loup avait pris force et taille considérable mais ne dépassait pas la « chatte » d’Isabel. Parfois le tigre-lion acceptait même de porter son copain sur son dos soyeux.

*Si différents et si proches… Ils en ont de la veine !* pensa Isabel amusée de leurs jeux.

Claquée après le repas du soir, sous la tente d’Alf montée facilement, Isabel se permit de regretter l’ancien temps… celui où, veillant à son confort, son mari lui massait toutes les articulations douloureuses… quand il y pensait ! Elle se doutait qu’Alf se serait soumis sur simple demande mais, trop fière, meurtrie et craintive, Isabel ne se plaignit pas. La chaleur d’Artémis réconforta son dos, à défaut d’autres caresses perdues à jamais.

Le lendemain, avant de recommencer la chevauchée, elle était tellement courbaturée qu’Alpha la força à avaler des pilules roses qui, selon lui, devraient soulager. Il avait raison.
Grâce au remède, elle put tenir sans flancher une journée supplémentaire, identique à la précédente.
Ce coin était bien désert ! Ils n’avaient croisé âme qui vive depuis trois soirs.
L’obscurité leur était tombée dessus plus tôt que prévu. Ni humains ni animaux ne l’avaient pressentie.

Descendons, allumons un feu, et…

Refus catégorique. Sous la lune, le manège nerveux de Jack mettait Alpha en mode alerte.

… Artémis et les éléphants sont passifs... Tu es sûr ?

Il l’était et se mit à chuchoter. D’après lui, des humains vivaient dans le coin. On irait observer puis, selon le cas, avancerait vers eux ou s’en éloignerait.

Les jumelles de l’Ayerling la surpasseraient toujours ! Même de nuit, on voyait tout ce qui bougeait !
À 500 mètres se distingua un camp très… élaboré. Murailles de pierres, phares( ?) de projection. Derrière se déroulait une vie assez joyeuse. Des maisons, des rues, des gens ! La population, évaluée à plusieurs centaines d’individus, déambulait en souriant. Là, on dansait ou chantait. Ailleurs, on adorait la Pierre centrale.


Regarde ! s’exclama Isabel en rendant les jumelles à son compagnon. Ils ont des chevaux !


Police montée ? Difficile à déterminer mais vu l’allure martiale des cavaliers…

Ils en passèrent des heures à regarder le spectacle.
Quand le « village » se vida, les amis regagnèrent leurs pénates. Pas de feu, cette nuit-là. Ils parlèrent dans l’obscurité, par sécurité.


Ils ont l’air évolué, dit Isabel en mastiquant sa viande séchée. On doit s’y attarder, non ?

L’Ayerling était mitigé. Il voulait observer davantage avant de s’élancer dans une rencontre. Sage décision, s’il en est !
Isabel fut tirée du sommeil par un son qu’elle avait quasi oublié : les cloches !
C’était comme un signal de ralliement auquel elle ne résista pas.


Alf, lève-toi ! Faut y aller !

Il était déjà debout et lui barra le passage l’air buté.

Alf, les cloches signifient qu’ils ont une communauté religieuse. On en a discuté : tu dois me déposer dans un lieu de recueillement ! Il doit y avoir un couvent ! C’est là que je veux aller.

Il n’était pas d’accord, sous prétexte de manque d’informations.

… tu n’en sais rien de leur justesse ou fausseté !... moi non plus, c’est vrai. Mais pourquoi ne pas… ? Ok, ok ! On espionne puis on voit.

Le fait est que tout du long, ils ne distinguèrent rien de négatif durant le relai aux jumelles.
Ces gens semblaient contents de leur sort. La hiérarchie était compartimentée pour le bien communautaire, ça souriait…


Dans le noir total, Isabel fit ses adieux aux éléphants, Jack et l’hybride :


J’ai trouvé ma terre promise. J’y serai bien. Les nonnes rient et prient, c’est juste ce que je veux ! Veillez sur Alpha, qu’il trouve sa paix, je vais vers la mienne, ne me suivez pas !

Elle effleura les cheveux blonds du bel endormi, et s’en fut…

Sa fine silhouette fut rapidement repérée sur le chemin débroussaillé menant au village. Les hautes portes s’ouvrirent et deux cavaliers s’élancèrent à sa rencontre. Elle s’arrêta et sourit en les attendant :
Bonjour, dit-elle sereine. J’ai entendu vos cloches, j’aimerais…


Bonjour, la salua en retour un des jeunes hommes barbus. Tu es seule ?

Oui ! J’ai perdu mon compagnon il y a des mois de cela.

Nous n’acceptons pas tout le monde, sache-le ! reprit le « chef ». Tu auras une période probatoire à subir, et…

J’ai tout mon temps, souri-elle en retour. Je suis Isabel Kittredge, née et…

Tu expliqueras tout cela au gardien. Monte !

Un bras se tendit, elle l’agrippa puis sauta en croupe.
Sitôt les lourdes portes refermées derrière les montures, Isabel fut aidée à descendre par une femme basanée aux vêtements orientaux.


Bienvenue, lui dit-elle. Je suis Naïma. Je vais prendre ton sac. N’aie crainte, il te sera rendu dès que tu auras été approuvée. Voici Yan, il va te conduire au gardien.

Isabel ne vit rien de dérangeant dans cet accueil. Selon elle, il était normal de ne pas prendre n’importe qui, surtout dans un lieu aussi parfait.
Son guide était un grand bavard. Il s’appelait Petrovic Janovinski, rebaptisé Yan pour plus de facilité.
Originaire de la Russie des tsars, il avait été serf toute son existence. Il avait été marié, avait eu 6 filles et un seul garçon, était mort à 50 ans pour avoir « oublié » de payer une taxe locale.


Tous les nouveaux doivent être agréés, comprends-le. Le gardien est une personne digne et juste. Il sonde les âmes mieux que quiconque. Réponds-lui avec sincérité, tout se passera bien.

Le bâtiment où elle fut introduite ressemblait à une conciergerie aux murs blanchis à la chaux. Un seul niveau, une pièce propre au mobilier sommaire. Elle s’assit sur la banquette de bois poli indiquée par Yan qui l’abandonna avec un sourire et une pression affectueuse sur l’épaule.
L’attente ne dura pas. Du fond de la pièce une porte s’ouvrit ; une voix l’appela
:

Entre Isabel Kittredge !

Obéissante, elle se leva, franchit le nouveau seuil et se retrouva face à un décor beaucoup plus riche qu’avant. Boiseries moulurées, peintures, tapis et énorme bureau derrière lequel siégeait LE gardien.
Robe safranée, chauve, il ressemblait tellement à Tsang qu’elle faillit le nommer ainsi avant de voir les yeux de l’individu. Sans iris, ils étaient d’une pâleur troublante.


Ne te laisse pas impressionner par ma cécité, enfant. Assieds-toi, livre-toi !

Isabel ne cacha rien, ou si peu. Elle narra sa résurrection, sa rencontre avec un homme d’exception qu’elle avait épousé, ses désillusions, ses tortures, son profond désir de s’isoler, de se repentir.
Par contre, allez savoir pourquoi, elle omit de préciser qu’elle venait de laisser Alpha et ses animaux de compagnie à moins d’un kilomètre de là…

Tes pieds n’ont pas souffert de ta pseudo longue marche,
ricana le Gardien.

Je… J’étais avec un éléphant. Je l’ai laissée dans les bois… Je…

Un éléphant ? s’esclaffa le Gardien. Je ne m’attendais pas à celle-là ! Et pourtant tu ne mens pas, je le sens. Je sens beaucoup de chose, Belle ! Je sais deviner aussi. Tes désirs sont criants ! Plie-toi à nos règles et, si tu y résistes, tu deviendras citoyenne de Concordia dans un mois plein à dater de cette heure. Vas-en paix, que SA Lumière t’inonde !

Là-dessus, Naïma entra, se courba copieusement devant le Gardien puis emmena Isabel au dehors.
Après un court parcours dans des rues qui se réveillaient progressivement et où elle fut saluée joyeusement, Isabel aboutit au « cloître ».
Naïma, mains jointes, plia l’échine devant la portière
:

Sœur Eve, voici Belle ! Sa probation débute. Que SA lumière t’inonde !


Une réponse et courbette similaire plus tard, Isabel changea de mains et décor.
Eve était métissée. Vêtue comme les autres « sœurs » - d’épais voiles bleu foncé ne découvrant que la face- son teint correspondait à un tendre café au lait. Nez busqué, yeux verts, lèvres gourmandes, la « nonne » se contenta de mener la recrue à sa cellule.
Un châssis en bois, tendu de courroies de cuir, soutenait un matelas rembourré de foin. Un petit meuble en pin, un tabouret, une vasque avec sa cruche, un pot de chambre.


Lire est essentiel. Ne quitte pas cette chambre avant que les cloches sonnent douze coups.

Quelques indications suivirent quant aux règles à ne pas enfreindre.
Dès l’instant où elle avait mis le pied dans sa chambre Isabel avait ressenti comme un coup de pompe. Il était tôt encore mais une irrépressible envie de s’allonger lui vint. L’autre lui avait dit de lire mais elle ne trouva aucun livre dans le seul meuble à tiroir.
Sa couche parée des draps rêches dénichés, elle ne tint plus sur ses jambes. Sans remords, elle se coucha et aussitôt vogua.

L’humanité a été recrée dans l’unique but de magnifier la puissance de l’Unique ! Tous les êtres vivants doivent connaître paix et harmonie. Tu obéiras à tes supérieurs, toujours. Humble, soumise, le sourire sera de mise en toute circonstance...

Les litanies se poursuivirent jusqu’à ce que les cloches résonnent douze fois.
Sur le meuble, la cruche était pleine d’une eau au parfum étrange. Des linges propres, très blancs, avaient été déposés sur le tabouret. Isabel procéda à quelques ablutions avant de se vêtir de sa tenue de « novice ». Sans que personne ne le lui ait dit – à moins qu’elle ait omis ce fait – elle sut que faire des eaux usées. Sous le meuble existait une grille masquant un trou d’évacuation. Son lit refait, avec le sentiment du devoir accompli, elle osa mettre le nez dehors. Pas de verrou à la porte, ni intérieur, ni extérieur. Isabel put circuler librement dans le long couloir où elle ne put rater une file en formation. Des nonnes aux robes de tons divers se rangeaient à l’indienne. Les premières se paraient de rouge, suivaient les ocres puis des dégradés de bleu du foncé à pâle. La novice trouva très naturel d’être reléguée à la dernière place de cette procession colorée. Elle ne s’étonna pas trop non plus de ce qu’elle reçut sur le plateau qui lui échut : un petit pain dur et une pinte d’eau.
Les plus cotées recevaient ragout et vin… Elle n’en prit pas ombrage même si – incongruité notoire – son estomac trahit les besoins de son corps par un gargouillis sonore. Tout le monde souriait ; elle aussi.
Durant cette première journée, on ne requit d’elle que silence et petites corvées, genre vaisselle, couture et coupe de bois. Si pendant ses labeurs, une pensée involontaire s’échappa vers Alpha, elle la refoula vite.
Peu avant la tombée de la nuit, on lui signifia de rejoindre ses quartiers. Elle s’écroula presque aussitôt sur sa couche et, de nouveau, une voix s’insinua :


SA lumière illumine le monde ! Il est vérité et loi. Vers lui actes et pensées volent. Vénère-le, oublie tout ce qui n’est pas LUI…

Moins d’une semaine plus tard, Isabelle put quitter le cloître. Sa robe était maintenant sable clair, la seule du cru apparemment. Encadrée de nonnes foncées, un panier au bras, elle fut guidée vers le grand autel pour la prière rituelle. Là, sœur Eve se montra stricte :

Tu connais la règle et ses sanctions. Sois respectueuse !

Sereine, Isabel sourit et, quand vint son tour d’exprimer ses désirs, elle se conforma à la lettre sauf que… Au moment de réclamer farine et œuf, poussée par Dieu sait quel démon, elle demanda :

Sel, ail, oignons, origan et…

Un fouet à bouts ferrés s’abattit plusieurs fois.

Elle se réveilla endolorie, mais souriante, acceptant le retour de vêtements blancs à son chevet.
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Alpha 247

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MessageSujet: Re: Fin ou début?    Fin ou début?  EmptyJeu 13 Juin - 21:31

Une des conditions essentielles pour un Ayerling était d’avoir le sommeil léger. Il sentit ses doigts dans ses cheveux et dut prendre sur lui de se feindre profondément endormi. Elle avait fait son choix et rien de ce qu’il pourrait dire ou faire ne pourrait l’empêcher d’aller chercher son salut ailleurs, loin de lui.

Il avait pourtant crû être sur la bonne voie, mais comme d’habitude les cases ratées semblaient avoir bien plus d’importance que tout autre chose. Ses efforts comptaient si peu. Le pire était qu’il pouvait la comprendre, et ça faisait un mal de chien.

 *Maudit soit le moment où on est arrivés ici…maudites cloches…*
 
L’Ayerling avait encore assez de mal à capter certaines nuances de la nature humaine. Sa conscience si bien endormie avait connu un réveil brutal qui l’avait mis face à une réalité exténuante de sentiments, sensations et réactions auxquels rien ne l’avait préparé. Largué dans un monde mû uniquement par  des atavismes qui lui étaient inconnus, Alpha avait surnagé à la comme on peut, sans trop de succès jusque-là. Son seul et unique repère fiable avait été Isabel. Avec elle, il avait commencé à comprendre, à sentir, sauf que cela allait contre de ce que dictaient ses préceptes et principes.  Créé pour être un Ayerling, on ne pouvait s’attendre que du jour au lendemain il assimile son humanité en toute naturalité. Il avait agi comme tel, emmuré dans son état de pion conditionné.

Revenir sans cesse sur le passé n’arrangerait rien. S’il avait cru que ce voyage vers l’inconnu finirait par les réunir, lui et Isabel, Alpha devait reconnaître qu’encore cet espoir-là était perdu.  Ils avaient pu partager un semblant de camaraderie et elle avait recommencé à rire, mais le besoin de mettre de la distance avait eu le dessus.
 
*Et moi qui croyais que le pardon primait dans leurs principes…foutaises !*
 
Certes, sa faute était un peu au-delà du pardon normal. 
 
*Elle n’a rien compris de ce que j’étais…*
 
Ni elle ni personne d’autre. Il était le phénomène du futur. Fait définitivement irrémédiable.
 
La truffe froide de Jack et son gémissement plaintif confirmèrent ses craintes.  De l’entrée de la tente, Artémis le jaugeait d’un regard plein de censure.
 
Que veux-tu ?, gronda Alpha en se levant, que je lui coure après et la ramène de force ? Elle me détestera encore plus…Non, tu restes là. Tu sais que tu dois m’obéir, chat…personne ne la suit, compris !?
 
Dehors, Théo et ses dames avaient l’ait aussi mal à l’aise qu’Artémis. Se communiquer avec les animaux ne lui résultait pas aussi facile qu’à Isabel mais en s’y mettant, Alpha parvint à soutirer la version complète des derniers mots de sa femme. Noy, attristée, transmit le message :
 
« J’ai trouvé ma terre promise. J’y serai bien. Les nonnes rient et prient, c’est juste ce que je veux ! Veillez sur Alpha, qu’il trouve sa paix, je vais vers la mienne, ne me suivez pas ! »

Elle avait au moins pensé à lui, sans le vouer aux enfers.

*Trouver ma paix ?...Voudrais bien savoir comment !...C’est elle, ma paix !*
 
Théo se montra solidaire avec ses états d’âme et le frappa doucement de sa trompe.
 
Ouais…c’est ça…soyons copains, t’en as assez de me la jouer à la dure ?
 
Apparemment, oui. Noy et Snow semblaient très affectées. Artémis avait du mal à accepter la défection. Jack assumait. Lui, avait un mal fou à tant soit essayer de se résigner. Muni de ses jumelles, il retrouva la fine silhouette qui s’éloignait sur le chemin. Une poignée de douleur sauvage lui serra le cœur. C’était de lui qu’elle fuyait.

On va rester ici et observer de loin. Aucun ne bouge ni prend des initiatives, pigé ?
 
Érigé en porte-parole de la bande, Théo s’en donna à cœur joie pour confirmer. Un coup de trompe rigoureux s’abattit sur son dos et fut à point de l’aplatir à terre.

La prochaine fois, un simple oui devrait suffire !, grommela Alpha en se redressant et ajustant de nouveau ses jumelles, cette fois en fonction totale, ce qui lui permettait aussi d’entendre ce qui se passait à l’entrée du  village du salut. Deux cavaliers étaient venus à la rencontre d’Isabel s’enquérant sur la raison de sa présence ce à quoi elle répondait avec une humilité ahurissante :
 
J’ai perdu mon compagnon il y a des mois de cela.
 
*Me voilà relégué au monde des fantômes !*
 
Explication satisfaisante pour les barbus de service dont l’un prit la belle en croupe pour se perdre avec au-delà des grandes portes qui se refermèrent aussitôt.
 
Ils ont un bon système de surveillance, soliloqua l’Ayerling, ils savaient qu’elle arrivait…vigiles ou détecteurs…Intéressant…ils possèdent une espèce de technologie…et des chevaux…Oui, Théo, j’ai dit chevaux…un moyen de transport, sans vouloir blesser ta sensibilité, bien plus confortable que ton dos…mais ce qui doit nous occuper est savoir que feront ces gens avec Isabel…
 
Au-delà d’un certain périmètre l’écoute via jumelles n’était plus aussi performante. Mais il avait de quoi pallier la carence. Son sac plein de gadgets futuristes, don tardif de leur dernière Pierre, livra l’indispensable.
 
Voilà, une petite nuée de mouches-écouteur fera l’affaire…On saura tout ce qui se passe dans ce bled…
 
Bénie soit la technologie militaire du 25ème siècle. Une nuée invisible de micro insectes, pratiquement invisibles à l’œil humain, alla prendre ses quartiers dans tous les coins du village fortifié. Alpha pouvait entendre tout ce qui se disait. Sa plaquette réceptrice lui donnait la position de chaque « mouche », lui permettant d’établir une espèce de carte détaillée des lieux. Cela prit quelques secondes  trouver la mouche qui se trouvait au même endroit qu’Isabel et une fois qu’il l’eut identifiée, celle-ci « sut » quelle était sa mission. Impalpable, invisible, la mouche se colla à sa proie de surveillance de façon si efficace que même un bain prolongé ne pourrait l’invalider. Des échanges de bienvenue, on ne peut plus polis et innocents eurent lieu. Et puis on la conduisit au Gardien.

Dès l’instant où il entendit cette voix onctueuse, soyeuse, sibylline presque, Alpha  sentit un désagréable frisson lui courir l’échine.

Ne te laisse pas impressionner par ma cécité, enfant. Assieds-toi, livre-toi !
 
Cette voix. Elle ne lui était pas inconnue. Cela remuait les tréfonds de ses souvenirs sans pouvoir l’identifier exactement. Cela remontait à très loin…

Isabel avait affaire à un aveugle très perspicace, selon il put déduire de leur conversation. Elle narra ses péripéties, l’omettant, lui, mais parlant d’un éléphant.

*Elle ne dit pas tout…Que soupçonne-t-elle ?*
 
Apparemment pas grand-chose si on tenait compte de la suite. Elle déballa un résumé de sa vie et le Gardien l’accueillit en posant déjà ses conditions :

Je sens beaucoup de choses, Belle ! Je sais deviner aussi. Tes désirs sont criants ! Plie-toi à nos règles et, si tu y résistes, tu deviendras citoyenne de Concordia dans un mois plein à dater de cette heure. Vas-en paix, que SA Lumière t’inonde !
 
Cette voix continuait de le gêner affreusement. Trop accueillante, trop subliminale…Connue. Oui, il l’avait déjà entendue. Où ? Quand ? Alpha ne pouvait l’établir clairement, ce n’était qu’une espèce de vague souvenir, mais celui-là était, pour le moment, le moindre de ses soucis. Focalisant toute son attention sur Isabel, l’Ayerling  suivit sa progression. Le fait qu’on ait rebaptisé sa chérie l’agaça. On lui donnait du Belle par ci, Belle par là. Une telle Eve semblait être la gardienne de ces lieux de recueillement. Le leitmotiv « Que SA lumière t’inonde » se répétait à tout bout portant.

*Dieu…Lumière…ils ont un besoin fou d’adorer quoique ce soit…*
 
Pouvoir seulement écouter ce qui se passait autour d’Isabel s’avérait très insatisfaisant. Il lui fallait aussi voir son entourage pour pouvoir les identifier le moment venu. Profitant que sa femme prenait un repos bien mérité, le guerrier activa un autre gadget d’énorme utilité : un micro-drone-puce. Capable de capter et émettre des images de haute résolution et suivre, en toute discrétion, l’objet de la surveillance où qu’il irait. Le nouveau gadget remplaça le premier mis en place.  Cela frôlait presque le voyeurisme éhonté mais Alpha s’en ficha joyeusement. La sécurité du seul être au monde qui lui tenait à cœur était en jeu, il passerait outre n’importe quel principe de bienséance ou moralité.

Elle dormait. Parfaitement relâchée, un sourire lui errant sur les lèvres. Si paisible et innocente. Alors, la Voix vint s’insinuer. Doucereuse, berçante, insistante, subliminale. Une et une autre fois. Une litanie à n’en plus finir. Pénétrant au fin fond de l’esprit au repos. Cela le ramena bien de temps en arrière quand une voix semblable avait bercé chaque instant de repos, s’ancrant dans son esprit. C’était la seule voix qu’il ait entendu depuis ses deux ans, à part les ordres secs des surveillants puis des instructeurs. Il reconnaissait la méthode.
 
Bon sang, c’est du lavage de cerveau !
 
La suite lui donna amplement raison. Une semaine durant, il suivit fébrilement les allées et venues d’Isabel. Elle était confinée au cloître. Sa journée se passait en prières, contemplation et sommeil. Beaucoup de sommeil pendant lequel la Voix revenait inlassablement à l’assaut.

Alpha n’avait, de cette vie ou l’autre, croisé une nonne. Sa connaissance de cause se résumait à ce qu’Isabel avait bien voulu lui raconter et aux informations glanées sur sa tablette de lecture. Pour une raison qui lui échappait, il avait un mal fou à associer les femmes que  sa chérie fréquentait avec  ces êtres doux, soumis, adorant en silence leur Dieu de miséricorde. Celles du « cloître » avec leurs habits colorés, leurs statuts établis et leur attitude tout sauf humble, avaient de quoi le laisser poser des questions.
 
Il dormait très mal et peu. Mangeait pire encore. Fixé à temps complet sur les faits et gestes d’Isabel, il s’oubliait lui-même.  La routine de la jeune femme varia peu pendant la première semaine mais quand il réalisa que la couleur de son habit monastique avait varié du blanc au sable clair, il devina un changement qui ne serait pas précisément  réjouissant.  Trop de souvenirs de sa propre condition revenaient au galop comme pour s’y méprendre.

« SA lumière illumine le monde ! Il est vérité et loi. Vers lui actes et pensées volent. Vénère-le, oublie tout ce qui n’est pas LUI . »
 
La même ritournelle inlassable. Les périodes de sommeil d’Isabel le préoccupaient au-delà de tout. Elle dormait trop. Via le drone espion il avait suivi chaque geste de sa chérie et la cruche d’eau avait fini par attirer son attention. Elle était renouvelée avec religieuse exactitude et Isabel en buvait chaque fois plus. Pas seulement elle, ses autres espions reportaient une attitude similaire partout dans ce singulier village. Les gens buvaient sans modération et étaient tous dans un état de perpétuel bonheur. Problèmes, différends, disputes, somme toute normaux dans une société régulière étaient absents de cette vue d’ensemble. Tous étaient inondés de Sa Lumière et jouaient en conséquence.

*Sont drogués, c’est la seule explication !*
 
Qu’Isabel demande du sel, ail, oignons et origan au lieu de s’en tenir aux rigoureux ordres donnés lui donna une lueur d’espoir. Qu’on la fouette brutalement l’anéantit, mais jamais autant que sa réaction en recouvrant ses esprits…elle souriait !

Elle est fichue…ils lui ont lavé le cerveau…
 
Son public, attentif,  se résumait à un hybride, un loup et trois éléphants. Il devait être lui-même devenu fou pour parler avec des animaux pourtant cette singulière clique n’avait aucun mal à le comprendre et ce qui était mieux, à donner son avis, à leur façon.  Alpha déplorait ne pouvoir se communiquer avec les animaux avec la même aisance que Miss Kittredge mais bon an, mal an, ils s’entendaient.

[/b]Isabel ne sait pas ce qui est réel ou pas…entre  ce qu’on lui souffle quand elle dort et ce qu’elle ingurgite avec cette eau…on est loin du compte.[/b]

Suivre de loin le déroulement de cette situation était une véritable torture. Voir son Isabel si gaie et satisfaite le rendait malade d’impuissance. La veille au matin ils avaient assisté à l’arrivée d’un petit groupe d’égarés. Trois s hommes et deux femmes. Les cavaliers de l’accueil avaient emmené les deux demoiselles alors que les trois hommes avaient été obligés de suivre à pied, surveillés à pointe d’arbalète. Les mouchards en place avaient témoigné de la suite. Les trois hommes avaient très rapidement disparu des cadres. Alpha tremblait encore de rage en pensant au spectacle offert : on les avait tout simplement éliminés, sans explications.

« Que Sa Lumière t’inonde »
 
Elle devait inonder seulement les Élus de cette singulière cause.  En regardant attentivement on réalisait que peu d’hommes étaient présents  dans cette allégorie de perfection.

Se lancer à une attaque frontale équivaudrait à un suicide et Alpha n’avait pas contemplé la possibilité de se faire tuer pour parvenir à ses fins. Il devait trouver un moyen pour s’introduire dans le village en passant inaperçu.

Jack trouva l’entrée.  Dissimulée par la végétation, au flanc de la colline, cela avait l’aspect d’une simple grotte. Mais ce n’en était pas une, pas après que, curieux, Alpha ait suivi le loup. Après s’être frayé passage entre les racines enfouies profondément dans la terre, les toiles d’araignée géantes et autres obstacles, Alpha aboutit dans un tunnel qui n’avait rien de ressemblant avec une œuvre de la mère-nature.  Parois lisses, pente nivelée, éclairage pauvre mais suffisant, tout laissait penser qu’il s’agissait d’une construction faite par des êtres intelligents.  Plus il avançait, suivi de près par Artémis et Jack, les seuls avec lui à pouvoir progresser dans l’étroit passage, plus il se convainquait être sur la voie correcte.  À l’entrée restaient Théo et ses dames pour veiller aux arrières.

Le parcours semblait avoir été programmé pour des gens de petite taille. Alpha, avec son 1.92 avait du mal à avancer, toujours tête baissée et se prenant un coup de caillou sur le crâne de temps à autre. La progression était fatigante. Après un temps qui lui sembla très long, ils aboutirent  à une croisée de chemins d’où partaient une dizaine de ramifications.

Le petit point rouge correspondant  à Isabel la situait loin de sa cellule, où selon sa routine du dernier mois, elle aurait dû déjà se trouver. Jusque-là, les seuls changements dignes d’être tenus en compte, avaient été vestimentaires.  Maintenant Belle, comme tous insistaient de l’appeler, pénétrait sans encombre, dans les somptueuses installations tenant lieu de bureau au Gardien, vêtue d’un ocre soutenu.

Cette fois, à part entendre sa voix, l’Ayerling put voir le dénommé Gardien. Ses soupçons se confirmant il faillit quand même tomber à la renverse. La Gardien de ce nouvel ordre n’était autre que…
 
*L’Instructeur !...C’est lui…*
 
Le même qui avait hanté sa vie, modelant son existence, faisant de lui un guerrier parfait, dénué  de tout sentiment, voué à une seule et unique Cause. Il avait changé, avec son crâne chauve et ses yeux aveugles mais le maintien restait le même, ainsi que sa voix.  L’injustice de la situation était flagrante. Il était revenu à la vie dans ce monde extraordinaire vraisemblablement pour avoir droit, selon les paroles d’Isabel, à une seconde chance et voilà qu’il était confronté avec cet aberrant résidu de son passé. Il avait surmonté les ravages de la Fédération sur son humanité  et devait l’affronter de nouveau pour empêcher qu’Isabel, son Isabel, subisse le même sort.

Il savait bien ce qui se passerait. D’abord, la conscience d’Isabel serait endormie grâce au systématique lavage de cerveau pour après, si la technologie était encore d’usage, recevoir un implant inhibiteur pareil à celui qui l’avait réduit à une semi humanité, conditionnée aux souhaits de ses omniprésents maîtres.

L’entretien avec le Gardien fut de courte durée. Celui-ci se réjouissait des avances de la nouvelle recrue, de sa docilité et enthousiasme pour s’acquitter des tâches imposées.

Dans quelques jours, Belle, tu seras prête à devenir citoyenne de Concordia à part entière. La bienvenue te sera donnée au cours du Rituel d’initiation. En attendant, va en paix et que Sa lumière t’inonde.

Le regard transcendé, une expression de sublime bonheur illuminant son visage, Isabel acceptait sa condition. L’Ayerling aurait pu en pleurer mais ne put faire autre chose que la suivre à distance en se demandant en quoi pourrait consister le Rituel d’initiation. Il ne tarda pas à réunir certains indices qui eurent l’heur de le rendre fou de rage.

Une vague d’allégresse semblait avoir investi le Cloître et ses habitantes. La raison était le Rituel à se dérouler dans quelques heures. Une jeune femme qu’Alpha n’avait pas remarquée jusque-là, était le centre d’attention générale. Sœur Eve, en personne, la préparait et sollicita l’aide de Miss Kittredge.

Tes mains sont si habiles, Belle, Marietta a besoin d’une couronne de fleurs pour ce soir, quand elle sera inondée de Sa lumière. Elle doit être belle, très belle, pour ce moment sublime.

S’acquittant en toute joie de cœur, Isabel confectionna ce qu’on lui demandait, sans départir de son air de perpétuel bonheur.  Le moment sublime en question demandait beaucoup de préparatifs, transformant l’endroit en une ruche bourdonnante d’activité. De-ci , de-là, les mouchards captaient des bribes de conversation.
 
Marietta est la 24ème admise au Cercle des Élues, commentait une des femmes avec un soupir, ravi, regarde là, elle si heureuse, si belle…quelle honneur merveilleuse !
 
Oui…C’est si parfait et puis…, ajouta  la 3ème en cause, en baissant la voix, il sera bientôt le tour est de Belle…notre bien-aimé Gardien, que Sa Lumière l’inonde,  a recommandé à Naima et Eve d’en prendre spécial soin…
 
Trois têtes se  tournèrent discrètement vers la « chanceuse » qui ajoutait, en toute innocence, des petites fleurs à la couronne.

*Elle ne sait rien de ce qu’on lui réserve…la 25ème élue…L’honneur suprême…Misère !*
 
Alpha prit grand soin de coller un mouchard à la 24ème élue dignifiée par Sa Lumière.  Le Rituel fut une brillante mise en scène, de surréaliste pompe. L’assemblée, plongée dans une douce euphorie, provoquée, sans doute, par les émanations provenant de deux énormes encensoirs, psalmodiait  en ondulant rythmiquement. L’Élue du soir fit son entrée, elle semblait flotter.

*Droguée jusqu’à l’os….risque pas de se rendre compte de grand-chose…*
 
Puis, IL entra. Alpha étouffa un juron furieux. Le Gardien ! Son apparence avait quelque peu varié. Sa tête chauve était ceinte d’un bandeau doré, symbole de sa noblesse et ses yeux, si aveugles la dernière fois qu’il l’avait vu, avaient un regard pénétrant, impérieux. Il était le seul à ne pas être atteint par les vapeurs euphorisantes.

 *Loyauté et soumission…au prix que ce soit*
 
Le rêve de tout tyran. Un peuple complaisant qui ne se plaindrait jamais, sans songer à se soulever ni mettre en péril la magnificence de son œuvre. On devait lui reconnaitre ça. Il avait bâti une petite enclave de perfection au sein d’un étrange monde convulsé. Mais Alpha n’était nullement disposé à laisser que sa femme paye le prix fort pour les caprices du tyran de service.

Elle n’avait pas été de la cérémonie. Lui, resta jusqu’à ce que les portes se ferment sur le Gardien et sa nouvelle  Élue. Pas besoin d’en regarder plus, d’ailleurs le mouchard transmettrait même s’ il se faisait déjà une petite idée de ce que cela donnerait. Artémis et Jack étaient nerveux.  Il le remarqua en s’engageant dans le conduit menant vers la cellule de sa femme. Alpha ne se sentait non plus au top de la forme mais le mettait sur le compte du stress grandissant de minute en minute. Pourtant le comportement assez erratique, surtout de la part du loup le mit sur avis. Jack semblait avoir du mal à marcher droit et laissait de temps à autre échapper une plainte ou un grognement. Artémis ne donnait aucun signe de fatigue mais n’avait pas l’air trop performant. Plus ils avançaient vers les cellules, plus une fatigue écrasante s’abattait sur eux. Appuyé contre la paroi froide, l’Ayerling reconnut la cause du mal :

L’air…c’est l’air…plus vicié…faut sortir d’ici…
 
Facile à dire. Rebroussant chemin, il se traînait presque et Jack ne valait pas mieux. Ils étaient pris au piège. S’il se trouvait, les mêmes émanations qui abattaient si bien Isabel une fois chez elle, avaient filtré jusqu’aux tunnels, s’ils ne parvenaient à sortir à temps…

Alpha revint à lui, allongé sur l’herbe humide, sous un ciel nocturne constellé d’étoiles, respirant un air merveilleusement frais et pur. À ses côtés, le loup se redressait sur ses pattes,  se secouant furieusement. L’hybride et les éléphants les contemplaient d’un œil soulagé. Noy, bienveillante, se chargea de le renseigner.  Ils s’étaient effondrés dans le tunnel, sous les effets de la « substance ». Artémis, beaucoup plus résistante, vu sa condition d’hybride, les avait traînés, tour à tour vers la sortie.  Théo crut bon ajouter qu’elle avait sorti le loup d’abord mais de ça, Alpha s’en fichait. Sa plus grande préoccupation était sortir Isabel indemne de ce lieu de misère et maintenant les choses se corsaient.

*Ils soupçonnent qu’on est là…c’est la seule explication…s’il se trouve ils le savent depuis le début…mais pourquoi agir juste maintenant ?...À moins que…maudit homme !*

Cela faisait très longtemps que l’Instructeur n’avait vu un micro-dispositif comme celui-là. Pas depuis sa résurrection en ces lieux. L’explication était simple pour lui : quelqu’un de son temps se trouvait également là et l’espionnait. Ce ne pouvait être que cela. Il avait toujours craint que cela ne se produise, pourtant, pendant des années il avait pu jouir en toute paix de sa nouvelle condition de Gardien d’une société parfaite, avec quelques variations de son cru, cela allait de soi. Finies les restrictions moralistes de la Fédération. Là, il régnait en Maître absolu. Manipulant à son aise. Après tout, ses anciens maîtres avaient excellé en la matière et il avait été un disciple exemplaire. Il possédait les connaissances, disposait de certains éléments indispensables et comptait en tirer le meilleur parti. Et voilà qu’un contemporain malvenu venait s’en mêler. Sa première réaction, délaissant un instant sa dernière acquisition, si appétissante, le Gardien était allé manipuler certaines manettes dont il avait seul le secret.  Si ennemi il y avait, celui-ci devait se trouver dans les vieux tunnels d’où il espionnait à son aise. Un peu de sa meilleure « solution-sommeil » le mettrait hors d’état de nuire pour un moment, le temps de jouir pleinement de sa « nuit de noces » avec sa nouvelle élue. Il verrait bien après comment s’occuper de l’outrecuidant, en se demandant néanmoins à qui il pouvait bien avoir affaire.

*Sans doute un de ces idiots membres du Conseil…toujours à vouloir tout redresser…ou peut être un de ces absurdes rebelles qui voulaient tout foutre en l’air !*

Impossible dormir. Il en avait besoin mais se refusait tout repos. Ça pouvait attendre. Quand Isabel serait en sécurité, loin de cette folie, il y aurait du temps pour le repos. En supposant bien sûr que la belle ne l’étripe avant l’accusant de se mêler de ses affaires même s’il disposait d’assez d’évidences pour lui démontrer qu’elle avait été victime d’une énorme mystification.

Assouvis ses désirs, le Gardien prit son temps pour penser à la possible intrusion.  Le micro-drone trouvé sur Marietta ne lui laissait pas le moindre doute. Celui qui se trouvait là avait des connaissances approfondies de la technologie fédérale du 25ème siècle. Lui aussi, et il avait les moyens pour la contrer, cette technologie. Sa suivante résolution fut de chercher d’autres possibles « mouchards ». Et pour en trouver, il en trouva. Les lieux en étaient pratiquement truffés même si la plupart étaient inactifs, en attente d’un signal pour se « réveiller ». Le plus intéressant fut en trouver un, identique à celui de la 24ème élue, désigné à celle qu’il convoitait comme sa 25ème.  Il fit mander Belle.

Alpha devenait fou. Le drone d’Isabel venait d’être déconnecté. Ce ne serait pas une première que d’intervenir en zone contaminée. Son équipement y pourvoirait parfaitement, il ne prit pas le temps de peaufiner une stratégie quelconque et s’élança dans le tunnel, suivi d’Artémis. Jack resta dehors avec Théo et ses dames. Se doutant bien que le Gardien ne serait pas allé chercher sa chérie dans sa cellule, il enfila tout droit vers les appartements de ce dernier. Il ne se trompa pas. La scène à laquelle il eut droit lui retourna les sangs. Isabel, merveilleuse belle, ébahie  d’un bonheur subliminal, totalement à côté de la réalité et à moitié dénudée, subissait, parfaitement complaisante, une reconnaissance rapprochée.
 
Qu’un pan de mur explose livrant passage à un grand diable ébouriffé et apparemment hors de lui, flanqué d’un fauve à l’échine hérissée, surprit grandement le Gardien qui interrompit sa plaisante exploration avec un grondement outragé.

Touche là une fois de plus et je te réduis en charpie !

Comme il y semblait vraiment disposé, le Gardien, sans être couard, préféra s’écarter de la jeune femme qui  ne bougea pas d’un pouce, et regarder attentivement cet intrus audacieux. Il avait changé mais pas tant comme pour ne pas le reconnaître. Il avait eu des centaines de disciples mais reconnaître celui-là lui fit courir un frisson d’effroi le long de l’échine. Un Ayerling ! Le pire ennemi auquel il aurait voulu être confronté. Les Alpha, série Norfolk avaient été créés pour être des machines à tuer sans aucune conscience. Il avait bien pourvu à cela, suivant leur parcours avec morbide application depuis leur sortie de la Matrice. Ils étaient appelés à être parfaits. Absolument parfaits. Conditionnés depuis leur plus tendre enfance. Sevrés de tout sentiment humain, porteurs d’un inhibiteur sans faille. Soumis inconditionnellement à la Cause unique de la Fédération. Et voilà qu’il en avait un face à lui qui ne donnait aucun signal d’être prêt à faire autre chose qu’à sa tête.

*Un détraqué…peut être que sa renaissance ne s’est pas bien passée…l’inhibiteur doit être dérangé…*

Lequel es-tu ?, tonna t’il néanmoins en mettant le plus de conviction possible dans sa voix, sans pour autant quitter le fauve grondant du coin de l’oeil.

247, répondit l’Ayerling sans varier d’un poil son attitude agressive pour ajouter de suite avec un sourire cynique, ton pire cauchemar, Gardien…ou Instructeur, comme tu préfères…Eloigne toi d’Isabel…
 
La jeune femme avait reculé, effrayée par cette irruption brutale, se couvrant instinctivement et couvant l’intrus d’un regard peu amène. Il s’en prenait au parfait Gardien du plus parfait des mondes.

Que se passe t’il, 247, tu sais bien que ta programmation t’interdit de t’adresser de la sorte à ton supérieur !

C’était une autre vie, ça…je ne suis plus un de tes pions et Isabel est ma femme…jamais je ne permettrai que tu l’approches une autre fois…
 
J’ai le pouvoir, 247…ici, c’est Moi qui règne. Tu crois t’en sortir de si bon compte ? Ma garde aura été avertie par l’explosion !

Vraiment ?, ricana Alpha, fais la venir, ta garde, que je m’en charge comme tu m’as si bien appris…Je pensais que tu étai le nec plus ultra des guerriers, tu n’auras pas de problème pour m’affronter, non…ou, ce n’était que du bla-bla…
 
Définitivement, la résurrection avait fait des ravages sur tout concept d’obéissance et soumission qui  auraient dû avoir leur place dans cette œuvre de la meilleure technologie de pointe de la Fédération. Il ne reconnaissait en rien l’Ayerling impassible de jadis.  L’homme qui se dressait face à lui comme démon vengeur était humain à 100% et ce qui était encore plus dangereux, semblait très attaché à la douce Belle, même si celle-ci ne lui avait octroyé qu’un regard absent. Tout argument semblait hors de mise dans cette situation. Le Gardien essaya de biaiser mais cela alla encore pire quand sa proposition de partager le pouvoir fut émise. Le guerrier le frappa brutalement avant de lui ordonner de cesser avec la manipulation. Il eut la mauvaise idée de résister. À moitié assommé, il fut obligé à avouer les arcanes de son pouvoir. Sans plus, l’Ayerling le traîna comme fardeau vers la chambre sécrète où il ne lui resta rien d’autre à faire, sous peine d’y laisser carrément la peau, que de réguler le débit des valves, cessant les émissions d’obnubilation.  Quand tout fut réglé selon ses souhaits, le guerrier l’assomma sans plus et retourna s’occuper d’Isabel.

Celle-ci avait cherché à se mettre à l’abri de la débâcle, mais n’avait pas songé à fuir. De l’extérieur parvenaient des voix agitées. Sans doute la Garde qui arrivait à la rescousse. Les portes étaient dûment verrouillées et assez solides pour que cela prenne un certain temps les défoncer.  Artémis, qui jusque lors s’était contentée de jouer les présences féroces émit un grondement à faire trembler les murs.

Viens avec moi…je t’emmène en lieu sûr !
 
Autant proposer à un chat hargneux de prendre un bain. Esquive et rapide comme un félin, elle se sauva de son approche et quand il put enfin la rattraper, elle lui ficha quelque chose de pointu dans les côtes, après lui avoir labouré le visage de ses ongles.

Bon sang, Isabel…je veux te sauver !
 
Étant donné qu’elle ne semblait pas trop disposée à l’écouter, que les coups aux lourds panneaux se répétaient menaçants, la dernière ressource fut de l’assommer et filer par l’ouverture provoquée par l’explosion avec l’hybride sur leurs talons.

Les éléphants se chargèrent de boucher l’entrée du tunnel avant de les prendre en charge et les ramener au campement tapi dans la colline. Noy avait pris Isabel et la portait comme à un objet délicat digne de tous soins. Théo, fidèle à lui-même, installa l’Ayerling sur son dos sans se soucier de lui. Alpha n’était pas enclin à se plaindre mais le traitement lui seyait mal.  Il ne savait pas de quoi s’était servie sa femme pour lui piquer les côtes mais cela faisait mal  en plus de provoquer une conséquente perte de sang. Être descendu à terre, avec l’habituelle douceur du pachyderme, l’acheva. Il resta étendu sur le sol, essayant de reprendre contrôle sur ses sens en vadrouille. La voix d’Isabel, vraisemblablement très éveillée lui parvint comme en songes. Dans un dernier sursaut de conscience, il laissa tomber la tablette de contrôle…
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Isabel Kittredge

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MessageSujet: Re: Fin ou début?    Fin ou début?  EmptySam 22 Juin - 16:32

C’était quand même étrange…
Isabel était vraiment très heureuse la majorité du temps surtout après s’être abreuvée ou avoir pénétré dans sa chambre. Mais quand l’une ou l’autre de ces occasions tardait, elle se sentait… bizarre, comme si une part d’elle-même refusait le contact avec le bonheur enfin disponible.
Travailler était normal, la plus basse tâche ne la rebutait pas. On l’avait battue ? C’est qu’elle le méritait. N’empêche que sa conscience faisait de curieux aller et retours. Tantôt elle aurait léché les pieds de ses « sœurs » tantôt elle leur aurait mordu le gros orteil avec ravissement.  
Toujours elle revenait à la raison…  De son propre chef, elle avait choisi cet endroit empli de sérénité. Quelque part, oui, elle l’admettait, l’homme du futur y était pour beaucoup. S’éloigner de lui, l’effacer, était son but tant il représentait la tentation perpétuelle.
Rares furent les instants où Isabel put analyser ses sentiments avec clarté. D’un côté le pardon la tentait, d’un autre le rejet, la froide passivité, dont son époux avait fait preuve lors de son calvaire lui en clouaient la porte. Il avait changé, pourtant… Mais sa résolution la priva de réaction face au régime en vigueur.

Que rêver de mieux que ce havre de paix ? Tant que les règles étaient respectées, Miss Kittrege se sentait en sécurité.  
Sa désobéissance à la prière de la Pierre, incompréhensible même par elle, fut lourdement sanctionnée. Retour à la case départ : robe blanche et tâches ingrates.

Chose curieuse, elle eut la bonne surprise de changer très rapidement de tenue. Cette fois, la couleur ocre intense la gratifiait d’une nouvelle position.  Aucune de ses compagnes ne semblait jalouser cette promotion. Au contraire, on accentuait les sourires sur son passage.
On la mandait auprès du gardien ? Elle en fut très heureuse. Les yeux étranges qui regardaient comme à travers son âme se posèrent sur elle :


Es-tu satisfaite de ta nouvelle position, Belle ?


Pleinement, Maître ! Je vous en suis si reconnaissante…

Ce sont à tes mérites que tu la dois. Rares sont les appelées aussi habiles que toi. Dans quelques jours, Belle, tu seras prête à devenir citoyenne de Concordia à part entière. La bienvenue te sera donnée au cours du Rituel d’initiation. En attendant, va en paix et que Sa lumière t’inonde.

Qu’elle vous inonde aussi, Maître.  

Un rituel d’initiation ? Cela tourmenta à peine Miss Kittredge dont les craintes s’envolèrent vite quand il fut question de préparer Marietta qui devait être initiée incessamment.

La doctrine nocturne imposait :

Ne pose pas de questions, obéis.

Alors Isabel  n’en posa aucune, se contentant d’exécuter ce qu’on lui disait de faire.

Va pour une couronne de fleurs ! En tout cas le rituel devait être gai puisqu’il amena une ambiance de fête parmi les « nonnes ».  On préparait les réjouissances avec un entrain inédit.

*La lumière va l’inonder… Elle en a de la chance Marietta ! *  

Elle n’attendait que cela, elle aussi mais, allez savoir pourquoi, on ne l’éclaira pas sur la teneur de la visitation éblouissante. Tandis que les autres festoyèrent, Isabel sombra dans son sommeil ordinaire.

Elle en fut tirée de façon assez brutale par sœur Eve :

Ton heure est arrivée, Belle. Dans sa sublime bonté, notre Maître désire que tu sois initiée dès cette nuit.

Mais…

C’est un peu précipité, je te l’accorde. Nul ne va à l’encontre…

Des désirs de notre bien-aimé Gardien, que Sa lumière l’inonde ! compléta Isabel qui connaissait sa leçon.  

Sans broncher, elle subit des préparatifs hâtifs. Rincée d’eaux parfumées, cheveux oints d’encens précieux, elle fut parée comme pour des noces…

*Des noces… Un mariage… lequel… ?*

Introduite près du Maître absolu, Isabel se courba. L’autre, poitrine nue, ceint d’un pagne doré, lui releva le menton.  

Es-tu prête, Belle ? Tu es magnifique ce soir. Laisse-moi t’examiner…

Qu’il la touche, la raidit. Que diable cherchait-il sur elle ? De la vermine ?

J’ai été récurée par sœur Eve, plaida-t-elle pour échapper à ces attouchements étranges.

Elle ressentit comme une pincette sur l’épaule. Le Gardien eut l’air d’un chat ayant trouvé sa souris.

N’aie crainte. Tu es pure. Maintenant, bois !  

Aussitôt une gorgée du vin épicé avalée, la vision d’Isabel se brouilla intensément. Les sons eux-mêmes semblaient assourdis.  Elle vécut le reste dans une sorte de coma éveillé, incapable de discerner faits réels ou rêves.  Une explosion, des échanges dénués de sens ? Un réflexe primitif la força à se défendre avant que le brouillard l’investisse totalement.

Que s’était-il passé ?  

La tête lourde, les idées éparses, Isabel se redressa sur un coude après avoir eu le visage copieusement léché par une langue râpeuse à souhait :

Artémis ? Oh ! Vous êtes là aussi, mes beaux !

Revoir ses animaux la réchauffa.  

C’était quoi ce halètement pénible à proximité ?

Encore un peu sonnée, Isabel identifia le corps affalé non loin d’elle :

Alpha, c’est toi ? Qu’est-ce que tu as ?  

L’œil vitreux, semi-conscient, l’Ayerling perdait beaucoup de sang de son côté.

Elle ignorait tout de ce qui s’était produit et agit dans l’urgence.

Tiens bon !  

De par sa longue retraite solitaire et les enseignements de Tsang, Isabel avait appris le secret de certaines plantes et techniques. Tout lui revint à point nommé, sauf qu’elle dut fouiller le bivouac afin de dépister les remèdes. L’énorme patte de Théo comprima en douceur la plaie d’Alpha tandis qu’elle réunissait son attirail. Elle aseptisa le champ opératoire et fit de la couture en récitant des prières. Sauge et écorce de saule achevèrent sa tâche.  Maintenant qu’il n’avait plus de fuite, l’Ayerling allait récupérer. Se jugeant poisseuse à son chevet, laissant Alpha sous la garde de l’hybride, elle demanda à l’éléphante favorite de la mener se décrasser.

*Pourquoi suis-je encore ici ? Pourquoi est-il dans cet état ? *

Avait-elle rêvé avoir quitté le camp ? En tout cas, elle avait une fameuse bosse au crâne ! Ceci expliquait peut-être cela.  

Revenue rafraîchie auprès du blessé, elle entama de ranger un peu le campement. C’est alors qu’elle tomba sur un curieux boitier.  

*Encore un truc du 25ème siècle…*  

La curiosité eut raison de ses préventions envers ces engins. Quelque peu hésitante à la manipuler, elle en trouva facilement l’emploi et demeura bouche bée devant ce que la boite lui montra.  

Derrière la petite vitre, ce qu’elle vit et entendit  la laissa comme assommée.

*Donc j’ai bien quitté le camp pour entrer… là ???*

Seigneur Dieu, était-ce bien elle qui gobait sans broncher enseignement débile et encaissait les sévices ?  On tuait les mâles ? Que se racontait-il, là ?  

Il sera bientôt le tour est de Belle…notre bien-aimé Gardien, que Sa Lumière l’inonde,  a recommandé à Naima et Eve d’en prendre spécial soin…    

Les scènes suivantes lui retournèrent l’estomac. Isabel vomit, pleura beaucoup puis contempla l’Ayerling paisible qui dormait.  

D’un doigt timide, elle lui caressa le front :

Tu m’as sauvée Alf ! Tu avais raison de te méfier. Je devais être bien sotte pour ne pas m’en être rendu compte. Merci, du fond du cœur merci !

L’Ayerling récupéra rapidement, comme il se devait avec des soins appropriés. Dès qu’il rouvrit les yeux, elle lui sourit :  

Je sais que j’ai fait (elle en ignorait la moitié)  Tu n’avais pas à rester mais tu l’as fait, merci ! … ne te relève pas encore ! C’est une vilaine blessure ! Comment est-ce arrivé ?

Son visage se chiffonnant, elle devina, horrifiée :

Non ! Ne me dis pas que c’est moi qui...  

Catastrophe ! Si, c’était bien elle qui dans sa folie droguée lui avait infligé ça!   

La main sur la bouche pour étouffer un cri d’indignation, Isabel ne put retenir ses larmes :

Que m’ont-ils fait pour en arriver là ? Jamais, crois-moi, je n’aurais fait ça de plein gré.  

Il lui narra en gros, en très gros, leur fuite.

…Ah ! Voilà pourquoi j’ai mal au crâne, … Non, tu as eu raison de me ramener à la raison, je ne t’en veux pas du tout… au contraire !... Euh ? La nuit durant… Le jour vient de se lever.

Quoiqu’elle essaye de l’en empêcher, Alpha voulut se lever. Il activa son appareillage et pesta copieusement.  Ses espions miniatures signalaient de l’activité dans le secteur.    

Le Gardien avait envoyé des troupes contre eux.

… Fuir ? Mais ils sont trop proches ! Attends ! Tu m’as dit que tu avais dispersé tes mouchards partout. Voyons ce qui se passe là-bas…  

Quelques manipulations plus tard, ils purent se réjouir. Les effets de l’annulation des drogues se faisaient sentir. La cité connue paisible et souriante ressemblait à présent à une ruche sans reine.

Ça s’engueulait, se cognait à chaque croisement de venelle. Dans ses beaux quartiers, le Gardien libéré devait faire face à une meute de femelles en rage.  

Tu… Tu peux diffuser ces images ? Que tous les voient et entendent ?

Il pouvait et opéra.

Le résultat fut spectaculaire. En genre écran géant, dans la ville et alentours, on put voir le Gardien acculé, démuni devant son harem furieux.

Je suis SA lumière ! Vous devez m’obéir…

Marre d’être des jouets pour ton instrument ! cria sœur Eve en lui jetant la première pierre.  

La lapidation en direct eut plusieurs effets. Isabel, lèvres en sang d’être mordues, ferma les yeux. Alpha garda ses réactions pour lui. Les sbires détournèrent leurs montures et s’en retournèrent sans demander leur reste.

Le silence…

Images et sons coupés, ils restèrent comme prostrés mesurant à peine les dangers auxquels ils avaient échappé.  

Un coup de trompe de Noy fit sursauter Isabel :

On plie bagage. Tu es d’attaque ?

Un sourire en coin d’Alf la rassura.

Meurtris, l’un comme l’autre, ils cheminèrent à dos d’éléphant sans savoir eux-mêmes où ces pachydermes  les menaient, leur laissant le libre-arbitre de leur destination.

La nuit ils bivouaquaient serrés l’un contre l’autre ; se cherchant mutuel réconfort sans échafauder moindre plan.  

Au bout d’une semaine, ou plus( ?), ayant perdu le décompte, Isabel prépara un ragout à sa façon.

Avalant sa portion, elle soupira, contrite :

J’ai beaucoup réfléchi…

Elle s’étonna à peine du sursaut de l’Ayerling, et lui sourit :

Je t’en ai énormément voulu de ce que tu m’as fait quand nous étions avec Achille et les autres… Je sais maintenant que ce n’était pas entièrement de ta faute. Je… Je n’ai pas été honnête envers toi à ce moment-là.  J’ai commis l’erreur de te considérer façon… humain, et tu ne l’étais pas… encore. J’ai constaté tes… améliorations… Je n’ai qu’une question à présent…

Lentement, douloureusement, Alpha fit son mea culpa, exposant ses regrets, doutes, espoirs.

Pleine de commisérations, elle noua ses doigts aux siens :

Tu es resté près de moi alors que j’étais folle, tu m’as sauvée alors que je te reniais. Si ce n’est pas cela l’amour, alors abandonne-moi pour de bon. Moi, même si j’ai tenté de me persuader du contraire, je t’ai aimé et je t’aime toujours !

Un chaste baiser conclut cette nouvelle alliance, sans plus.

Elle ne voulait pas s’emballer trop vite. L’Alpha avec qui elle voyageait à dos d’éléphant était différent de celui qu’elle avait épousé mais…  

Déçue profondément une fois, ça marquait envers et contre tout.  

Néanmoins, ils avancèrent en se soutenant mutuellement à la moindre embûche.

Isabel adorait s’endormir contre lui. Force clame, tellement rassurante. Il ne savait toujours pas les mots, gestes  à adopter? Et alors ?  

… Je suis bien, oui !  

Il s’inquiétait sans cesse d’elle, son confort, faim, besoins.  
 
Le chemin à suivre ? Peu importait. Ils étaient d’accord de ne s’arrêter que dans un endroit qu’ils auraient très longuement surveillés de loin.

Je t’autorise à m’assommer encore si des cloches m’attirent, avait-elle ri un jour.

Les contrées traversées se ressemblaient toutes. Beau climat, parfois une pluie nocturne, il faisait bon voyager ainsi.

La plupart du temps, ils coupaient à travers bois, se méfiant des clans installés en bordure du fleuve. Rarement, ils purent observer autre chose que de la sauvagerie, voire de la bestialité. C’en était à désespérer.  

Un matin, moins d’une semaine après sa folie,  Isabel fut surprise de voir son haleine fumer en sortant de la tente. La température avait beaucoup chuté dans la nuit.

*Un second hiver si rapidement ? Zut !*

Quand Alpha mit à son tour le nez dehors, il réagit comme elle :

… je le crains, oui ! Nous devons nous préparer en conséquence !

Ils y mirent beaucoup d’entrain, chassant tout le gibier à fourrure disponible, mais le climat se détériora façon express.  Vers midi, les premiers flocons tombèrent alors qu’ils rôtissaient des viandes.  

Quelle poisse ! pesta Isabel. Pas la peine de perdre du temps à cuire les provisions. Elles congèleront seules, bientôt !  

Bien que les éléphants se fichent du poids de leur barda hivernal précédent, ils en avaient laissé la majorité au camp de base de Miss Kittredge.  C’était le volume qui les y avait obligés.  Faufiler des pachydermes dans les bois n’était déjà pas aisé. Si, en plus, ils étaient lestés d’encombrants paquets, cela compliquait la tâche. Qui aurait pu prévoir que l’hiver reviendrait si vite ? Pas eux, en tout cas.  

Alpha insista pour qu’elle revête sa combinaison thermique. Elle refusa :

C’est très généreux de ta part, mon chéri mais elle est à ta taille, pas à la mienne.

Si l’objet n’était pas collé au corps, il perdait ses propriétés. Il n’y avait pas photo, hélas.  

Je pense qu’au lieu de nous préparer, nous devrions fuir cette contrée au plus vite. Qui sait si, juste à côté, on ne trouvera pas des gens accueillants ?

Artémis, dont le pelage avait épaissi quasi d’un coup, sembla apprécier cette suggestion.

Par ses va-et-vient multiples, elle parut vouloir leur indiquer une direction. Isabel qui s’inquiéta du regard d’Alpha envers de manteau d’épaisse fourrure monté sur pattes prit les choses en main. On plia bagage rapidement.

Malgré plusieurs couvertures sur le dos, Isabel ne tarda pas à se sentir frigorifiée. Les thermos de liquides bouillants se vidèrent vite. Les quelques flocons épars du départ dégringolaient maintenant en armée. Vaillantes, les bêtes affrontèrent les bourrasques sans rechigner, suivant d’instinct, l’hybride guide.  Où allaient-ils ainsi ? Isabel crut qu’Artémis les conduisait vers la haute paroi rocheuse mais elle perdit le fil de ses idées, braquée à combattre le froid glacial s’insinuant dans ses veines. Avait-elle encore des pieds, des mains ? Si cela continuait ainsi, dans peu de temps, elle serait transformée en statue de glace. L’arrêt de Noy, faillit la désarçonner alors qu’elle s’endormait sur son dos. Alpha avait dû trouver quelque chose pour ordonner ainsi la halte.  

L’éléphante allongée, Isabel en fut retirée par les bras de son compagnon qui l’emporta illico. Semi-consciente, la jeune femme distingua des rochers avant de sombrer.

La grotte était assez vaste. Loin de l’entrée balayée par le vent, avec un bon feu, la température y fut bientôt agréable. Isabel revint à elle, bordée de deux couvertures vivantes : Alf et Artémis.

La circulation sanguine rétablie dans ses extrémités gelées, Miss Kittredge connut des moments difficiles de picotements cuisants mais elle était en vie ; ils étaient en vie.  

Une soupe chaude plus tard, elle put parler :

Cette cavité est un don du ciel !... Tu crois que l’on peut l’aménager ?  

Ce n’était pas évident ! Sans provisions de bois ou de bouche, ils n’y survivraient pas plus de deux jours.

Ils discutèrent de diverses options mais n’en retinrent que la meilleure :

Tu vas repartir, Alf ! Avec Noy ou Théo mais tu dois me laisser ici… J’ai du bois, tes briquettes et surtout Artémis. Je tiendrai en attendant ton retour, je te le promets !  

Il n’était pas trop disposé mais la raison le vainquit.

Au matin, après de touchants adieux vibrants de promesses, il s’éloigna dans la tourmente…
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Alpha 247

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MessageSujet: Re: Fin ou début?    Fin ou début?  EmptyVen 5 Juil - 17:25

Alpha, c’est toi ? Qu’est-ce que tu as ?  
 
La question était plus que valable. La réponse simple : il crevait. Cela sans compter avec la suite. Prompte, Isabel prit la situation en main alors qu’il filait doucement vers l’inconscience.

 
Alpha aurait voulu la rassurer, lui dire que tout irait bien si elle était auprès de lui mais la bonne intention se perdit quelque part entre ici et là. 


Revenir à lui tint du paradis. Non seulement elle était là, Isabel semblait se faire vraiment du souci. Qu’elle caresse son front avec tant de douceur faillit le faire défaillir de nouveau, pour si jamais, il fit semblant d’être encore plus dans les vapes qu’autre chose et ne rata pas un de ses mots.

Tu m’as sauvée Alf ! Tu avais raison de te méfier. Je devais être bien sotte pour ne pas m’en être rendu compte. Merci, du fond du cœur merci !
 
Béni soit son Dieu, qui qu’il voulut être, de l’avoir enfin éclairée. Cette fois il repartit pour de bon dans une espèce de bon petit coma, sans angoisses dont il ne revint que grâce aux soins prodigués par ses mains douces et ses paroles lénifiantes. 

Elle souriait. Lui souriait. Il fit de même.
 
Je sais que j’ai fait .Tu n’avais pas à rester mais tu l’as fait, merci !
 
*Qu’aurais-je pu faire d’autre ? Tu es le seul être au monde qui compte pour moi !*
 
Mais le moment de se lancer à ce genre d’aveux attendris n’était pas encore venu et la connaissant il valait mieux en rester là, pour le moment. On verrait bien après. Autant finir de la rassurer en essayant de se relever mais elle le repoussa doucement sur sa couche en assurant que la blessure était assez vilaine et demandant comment cela était arrivé.
 
*Elle ne garde aucun souvenir…serait-ce possible ?*
 
Son expression avait dû être  trop révélatrice, celle d’Isabel fut horrifiée. Il se redressa quand même sur un coude.
 
Ça n’a aucune importance…tu n’étais pas dans ton état normal. 
 
Il avait encore un certain mal à capter toute la vaste gamme des émotions humaines mais la voir pleurer, indignée, le remua à plus d’un titre.
 
Tu es simplement tombée dans leur panneau. Perfection, bonheur, paix…mais tout n’était qu’un mirage, Isabel…en fait,  vous étiez tous drogués, abrutis par la sublimation…Un lavage de cerveau à grande échelle. Ça marche très bien mais je savais à quoi m’en tenir…je ne pouvais pas te laisser là, dans ce mensonge induit…tu mérites beaucoup mieux que ça…Celui qui menait le tout n’était autre que mon ancien Instructeur, il savait très bien comment s’y prendre…J’aurais dû le tuer, mais ne l’ai pas fait parce que cela te déplaît…mais j’ai dû t’assommer pour pouvoir te tirer de là !
 


 Ah ! Voilà pourquoi j’ai mal au crâne, reconnut-elle en se massant la tête.
 
Suis désolé, pouvais pas faire autrement. Armée tu es un vrai danger, assura t’il, sobrement.
 
Elle lui donna raison assurant ne pas lui en vouloir du tout. Il avait un peu de mal à croire à un tel revirement de la situation. Inhibiteur ou pas, il demeurait un sceptique pragmatique, valait mieux ça que s’en prendre plein la gueule quand on y pense le moins. Son inconscience, aux dires d’Isabel avait duré toute la nuit. Du temps perdu qu’ils auraient pu utiliser pour mettre de la distance entre eux et cet endroit maudit.

Si l’Instructeur s’en est sorti, il aura lancé ses vigiles à nos trousses, il n’est pas du genre à passer pareil affront…Passe-moi le boîtier, je dois contrôler ce qui se passe là-bas. Oui, je me suis servi de notre technologie…Regarde ça…j’avais raison, les mouchards signalent des intrus en approche.
 
L’Instructeur n’avait pas tardé à reprendre ses esprits de tyran de service. Un nombre assez nourri de cavaliers, bien armés, les pistaient. Ils ne pouvaient pas tarder trop longtemps à leur tomber dessus. Il était un Ayerling accompli mais cela ne le rendait pas immortel. Dépassé par le nombre, il pouvait succomber et alors Isabel resterait seule, livrée à la vindicte.
 
Nous devons fuir !
 
Tiens, elle se rebiffait à l’idée et insista qu’il fasse encore usage de sa fameuse technologie d’espionnage. Et pour voir, ils en virent, des choses. Tout ne tournait pas rond pour l’Instructeur alias Le Gardien. Libéré de l’emprise des drogues, le peuple de Concordia se réveillait mais ce qui était encore mieux : les femmes du harem se rebellaient et comment !
 
Je ne donne pas cher pour lui !, dit songeusement Alpha en voyant comme ces femelles en folie réagissaient à la réalité.

Projeter ces images  ne fut qu’un jeu d’enfant. Voir la déchéance de leur chef omniprésent jusque-là fit changer d’avis les hommes lancés à leurs trousses, ils firent demi-tour pour rentrer dans la cité en folie.

Ils l’avaient aimé et vénéré comme La Lumière qui les inondait. Il avait régné et sévi mais avait aussi pris soin d’eux, leur donnant abri et sécurité. Certes l’addition était lourde à la fin. IL paya.
 
*Il a fait de moi une machine à tuer…il m’a privé d’âme…il a mérité ce qu’il a reçu !*
 
Si ce n’était que de cela que l’Instructeur l’avait privé. Ce jour-là, Alpha 247 reconnut une nouvelle émotion humaine : la haine. Il avait haï cet homme sa vie durant sans même avoir pu le reconnaître. Pour la première fois de son existence, l’Ayerling se réjouit de la mort d’un adversaire. Perdu dans ses réflexions il fut presque surpris par la proposition d’Isabel de partir sur le champ mais obtempéra sans rien dire.

Les éléphants semblaient avoir pris la direction des opérations. Il ne s’en plaindrait pas. Pas encore au top de la forme, il se contentait de dodeliner sur le dos de Théo et suivait le mouvement sans commentaires.  Jack et Artémis, en entente parfaite, se chargeaient bien de la chasse et ramenaient toujours quelque proie pour le repas du soir. Des peu de Pierres rencontrées, ils glanaient ce qu’elles voulaient bien accorder en pensant toujours à ne pas surcharger les pachydermes.

Alpha n’en pipait mot mais il se serait volontiers accordé quelques jours de repos pour se retaper à fond. Une première pour un Ayerling, songer à prendre un répit, mais l’aventure à Concordia l’avait miné plus que voulu, tant physiquement que psychiquement.  Sa rencontre avec l’Instructeur l’avait ébranlé profondément, l’obligeant à une révision encore plus approfondie de ses principes et schémas. Sa vie avait été abjectement manipulée, avilie, utilisée le tout pour assouvir les besoins d’une société sans doute aussi corrompue que l’Instructeur et dont il n’avait jamais eu le moindre aperçu et encore moins conscience. Et le tout pour un jour se voir larguée dans ce monde secoué de toutes les émotions humaines, de la plus basse à la plus noble. Et croiser le chemin d’Isabel…

La fin de chaque journée de voyage était reçue avec intense soulagement, d’autant plus que sans rien dire, l’attitude d’Isabel envers lui changeait de jour à jour.  Sans rien brusquer, ils retrouvaient l’entente de leurs premiers jours et elle se rapprochait, lui donnant l’impression de chercher sa proximité. Le premier soir où elle s’allongea près de lui, il sentit envahi par un sentiment de plénitude, semblable sans doute à ce qu’on se plaisait à nommer bonheur. Sans rien dire, il la regarda dormir jusqu’à ce que la fatigue ayant le dessus, il s’endorme aussi.

Puis un de ces soirs, installés près du feu, ils dégustaient un de ces ragoûts dont elle avait la spécialité quand après un soupir à fendre l’âme elle se lança dans un aveu qui le fit tiquer de plus belle.

J’ai beaucoup réfléchi…
 
Il savait bien que quand Isabel réfléchissait ça pouvait donner n’importe quoi, pas toujours du bon. Méfiant et tendu, il guetta la suite.

Je t’en ai énormément voulu de ce que tu m’as fait quand nous étions avec Achille et les autres…
 
*Ça commence mal…très mal !*
 
Mais elle poursuivait :
 
Je sais maintenant que ce n’était pas entièrement de ta faute. Je… Je n’ai pas été honnête envers toi à ce moment-là.  J’ai commis l’erreur de te considérer façon… humain, et tu ne l’étais pas… encore.
 
Que dire ? Elle avait tout bon mais avait quand même constaté certaines améliorations. Restait une unique question.
 
 *Qu’es-tu maintenant ? *
 
Pendant un instant, l’Ayerling regarda Isabel, en se demandant par où commencer.
 
Je t’ai causé tout le mal qu’un être peut causer à un autre, j’ai trahi ta confiance et ta foi en moi. Une partie de moi-même me disait que c’était une erreur et j’aurais voulu mourir à ta place mais l’autre, la plus forte, m’a induit à…faire ce que j’ai fait. Tu as raison en disant que je n’étais pas humain…ILS m’ont volé ce droit mais j’y croyais ferme. Mes préceptes, ma loi. C’était faux, archi-faux et quand Tsang a ôté l’inhibiteur…j’ai pu mesurer l’horreur de mes actes…j’ai voulu mourir alors mais encore là, ces fichus schémas établis sont trop enracinés en moi…un Ayerling n’a pas ce sursis et crois-moi…je l’ai désiré de toutes mes forces.
 
Alpha fit une pause, en fixant le feu, essayant de chasser cette pointe de douleur qui lui taraudait l’âme.
 
Je n’étais pas prêt pour te donner ce dont tu avais besoin…je ne sais même pas si je le suis en ce moment…C’est difficile d’assumer cette avalanche de sentiments, émotions, sensations…Ça a déferlé sur moi et parfois c’est dur pour moi de savoir où j’en suis… T’avoir retrouvé ne lave pas ma faute mais j’ose espérer qu’un jour tu pourras peut être penser… à me pardonner.
 
Ce qui s’en suivit dépassa de beaucoup ses plus ambitieuses aspirations.

Moi, même si j’ai tenté de me persuader du contraire, je t’ai aimé et je t’aime toujours !
 
Vraiment ?, souffla t’il , ébahi.
 
Un unique baiser, chaste, presque fraternel, scella ce qu’on pouvait être…un nouvel accord, une alliance…
 
*Elle aime son chat, ses éléphants, la nature…et toi aussi sauf que tu n’en méritais pas autant !*
 
Il ne s’aventura pas à ouvrir la bouche, à entamer le moindre geste. Isabel ouvrait une porte, très précautionneusement, pas question de s’y engouffrer comme rafale de vent. Elle dicterait la suite et lui, suivrait le mouvement, sans aucun écart…après tout, il était parfaitement entraîné pour cela.

Les jours suivants, le guerrier s’évertua à être le compagnon parfait faisant abstraction de ses propres besoins. Repos…repos…repos. Chaque fibre de son corps le réclamait férocement mais il se força  à se montrer à la hauteur des circonstances, jouissant de chaque instant partagé que ce soit chasse, pêche ou rester à dos d’éléphant à longueur de journée. Elle était heureuse, lui aussi.

Au gré de l’instinct des animaux, ils firent un long chemin, sans se soucier d’où cela les mènerait.  Artémis et Jack semblaient aussi ravis que les trois éléphants, tout devait aller foncièrement bien, sans danger. Le paysage était sans surprises, bois, plaines, collines, montagnes au loin et l’ineffable fleuve dont les berges apparaissaient plus ou moins peuplées. Ils se rapprochaient très peu ou pas du tout des peuplades découvertes. D’unes leur semblèrent franchement hostiles, d’autres plus accueillantes mais la méfiance était de mise partout. Leur plus grande préoccupation était trouver une Pierre isolée. Logiquement tous les établissements humains cherchaient leur prodigue proximité mais parfois, ils avaient de la chance et en dénichaient une perdue au profond des bois. Là, la pause était plus longue. On se ravitaillait consciencieusement alors et on se reposait un peu plus.

La nuit, la tenir près de lui était, sans le moindre doute le meilleur moment de la journée. Elle s’accommodait dans ses bras, contente comme un chaton.

Demain on pourra continuer, je pense qu’on a toutes les provisions nécessaires et une paire d’autres trucs qui nous serviront, le cas où…tu vas bien ?...Tu n’as besoin de rien ?

Je suis bien, oui !  
 
Alors, dormons, je suis claqué.
 
Et il sombrait dans un sommeil sans rêves, tel une souche. La parfaite relation entre camarades d’aventure.

En fin d’après-midi, ils avaient découvert un établissement fortifié, un peu en retrait du fleuve et très bien surveillé comme le prouva l’intensive observation que fit Alpha avec ses jumelles.
 
Pour civilisés, ils le sont…je n’avais jamais vu une construction pareille dans ce monde…sais pas trop sur le thème fortifications et toi ?

À peine plus que lui.
 
Je t’autorise à m’assommer encore si des cloches m’attirent.
 
Il avait ri avec elle.
 
Pas de souci, vais pas me gêner…ils sont vraiment organisés…celui qui a bâti ça savait s’y prendre… Intéressant... mais non…n’y pensons pas…ce serait une option en cas de besoin mais sais pas si toi, mais ça ne me tente pas d’avoir affaire avec un seigneur de la guerre…On en a un peu ras le bol de ça, non ?...Avançons un peu plus…va savoir, peut-être on tombe sur un coin paradisiaque pour nous tout seuls.
 
Et ils avancèrent. Deux, trois jours, en faisant des tours et des détours au bon caprice de Théo qui se montrait, une fois de plus « adorablement » caractériel.

Je crois qu’il aime se balader, conclut Alpha en fin de journée, dis…c’est mon idée ou ça a refroidi ?
 
Isabel rigola en assurant qu’il se faisait des idées mais le lendemain il fallut bien se rendre à l’évidence que le climat changeait et cela, à des vitesses effarantes.
 
C’est pareil que l’hiver dernier…ça a été aussi brusque !

À midi, il neigeait déjà et le froid se faisait mordant. À l’avis d’Isabel, même pas besoin de cuire les prises de leur chasse du matin, elles gèleraient avant de pouvoir se gâcher.  Alpha maudit copieusement leur manque de chance.
 
Si on avait notre équipement d’hiver, je ne me ferais aucun souci…mais là…Tiens, enfile ma combinaison thermique.
 
C’est très généreux de ta part, mon chéri, mais elle est à ta taille, pas à la mienne.
 
Ce en quoi elle n’avait aucun tort. De quoi désespérer presque. Bravement, Théo et ses dames affrontaient les éléments. Chat et loup, n’avaient rien à craindre pas plus que le guerrier sanglé dans sa combinaison mais l’état d’Isabel se détériorait à vue d’œil. Même sous multiples couvertures et ragaillardie de bouillon chaud, elle tombait rapidement en hypothermie.

L’hybride et le loup trouvèrent la caverne. Après une exploration sommaire pour s’assurer que les lieux ne soient déjà investis, l’Ayerling alla cueillir son Isabel à moitié raidie de froid.  Une installation plus confortable fut laissée pour plus tard, il para au plus vite en allumant un feu avec ses briquettes, y allongea sa chérie frigorifiée et procéda à masser ses mains et pieds pour y rétablir la circulation.
 
Bon sang, Isabel…réveille-toi…, implora t’il, me fais pas ça…pas après tout ce qu’on a passé…
 
Le souvenir des pingouins de l’Antarctique lui revint avec une clarté miraculeuse.
 
Artémis, tu es une bonne couverture…allonge toi près d’elle…sans l’étouffer, quand même !
 
Jack voulut prendre aussi à la séance mais fut gentiment éconduit par Alpha qui comptait tenir lui-même le rôle de chauffage auxiliaire.  Cela fonctionna merveilleusement bien. Isabel revint doucement à elle, cédant sa place à Jack qui jappait impatient, le guerrier alla préparer une soupe instantanée.

Bois ça…tu te sentiras mieux !
 
Ses esprits repris, elle promena un regard surpris sur leurs nouvelles installations.
 
On a assez de briquettes, un peu de bois sec, pas trop de provisions de bouche mais assez de couvertures, on tiendra bon…
 
*Deux…trois jours, pas plus !*
 
L’idée d’abattre un de leurs fidèles compagnons le révoltait mais si c’était nécessaire, il n’hésiterait pas. La tempête hurlait dehors et nul ne savait combien de temps cela pourrait durer, en attendant chasser était impossible, pêcher encore moins. Ils étaient pris au piège à moins que, bien sûr…

Ils brassèrent toutes les alternatives possibles de la plus rationnelle à la plus échevelée mais au fond, depuis le début, tous deux savaient qu’il n’y en avait qu’une de viable. Alpha laissa que ce soit elle qui l’émette. Des deux, il était le seul à avoir une chance de s’en sortir et trouver du secours.
 
Cela me répugne de te laisser seule ici…Je sais que tu m’attendras et que le cas étant Artémis sera là pour te défendre. Je ne vais pas prendre un des éléphants, seulement Jack…N’insiste pas, Isabel…Je referai le chemin vers le château qu’on a vu l’autre jour…J’ai les coordonnées exactes et ce n’est pas aussi loin que les détours de Théo l’ont fait paraître, il lui flatta lentement la joue, tu ne devras pas trop m’attendre, je le promets, après tout…je suis toujours un Ayerling, ne l’oublie pas !
 
L’aube révéla que le temps n’avait changé en rien. Le guerrier refusa de prendre des provisions alléguant qu’il irait plus vite sans barda pour l’encombrer, après une longue étreinte muette, il fit demi-tour et sortit de la caverne, suivi de son loup.

Il neigeait toujours copieusement mais à cela s’ajoutait le vent. Cinglant, glacial. Alpha se trouvait au milieu d’un blizzard sauvage comme il n’en avait vu qu’au Grand Nord.  Jack s’arrêtait de temps à autre pour grogner agacé et secouer la neige de son épais pelage. Parfois ils tombaient sur un champ de neige profonde et meuble ce qui rendait  l’avance très pénible. La visibilité était nulle et sans ses instruments, ils se seraient  irrémédiablement retrouvés à tourner en rond et fini par se perdre.

Et puis soudain, comme un mirage surgi du néant, le château apparut devant eux, solide masse de pierre grise contre qui les éléments déchaînés s’acharnaient sans l’émouvoir. Muni de ses jumelles, l’Ayerling se livra à une dernière observation. Une éclaircie inattendue dans la tempête, lui permit de parcourir l’ensemble. Tout était d’un calme sublimé par un silence ouaté. Malgré le mauvais temps, des gardes faisaient la ronde sur le haut des remparts, chaudement emmitouflés, l’un d’eux retint son attention quand, à moment donné, le vent rejeta la capuche de son manteau. Alpha aurait reconnu entre mille cette crinière blonde…
 
Ils sont donc arrivés là…Je crois, Jack, qu’on est finalement bien tombés !
 
Se servant de sa torche il émit un signal de secours et le répéta autant de fois que nécessaire jusqu’à obtenir une réponse. Celui qui envoyait le signal-retour savait bien s’y prendre et demanda des détails. Assurant se trouver seul, il reçut l’autorisation de s’approcher.

Accélérant le pas, il dévala la pente  et parcourut sans grands encombres  l’esplanade enneigée qui le séparait du bord de fossé d’enceinte. Le pont-levis  descendit rapidement avec un roulement de mécanisme bien entretenu.  Plusieurs hommes apparurent à la porte, fortement armés. Il avança, flanqué du loup. À la vue de la bête, la réaction ne se fit pas attendre.  Plusieurs arbalètes se pointèrent sur eux.

Le loup est mon compagnon de voyage. Je viens en paix.
 
Qui es-tu et que veux-tu ?
 
Je suis Alpha 247 et ne demande qu’un moment de répit et votre aide. Un homme parmi vous peut donner foi de mon identité, il me connait bien : Achille.
 
La mention de ce nom changea un peu l’attitude du comité d’accueil. On lui franchit passage en gardant un œil hostile sur Jack qui ne se priva pas de montrer ses crocs. Il le calma en flattant sa tête, après quoi l’animal redevint aussi docile qu’un bon toutou. Sans préambules, on demanda des explications sur sa présence.
 
Ma femme et moi voyageons à la recherche d’un bon endroit où nous établir. L’hiver nous a surpris sans y être préparés. Elle est restée dans une caverne, à l’abri de la tempête avec des provisions pour trois ou quatre jours au plus, accompagnée de trois éléphants et un gros chat.

On le regarda comme s’il avait débité quelque iniquité mais sans rien ajouter un des hommes fit demi-tour et quitta la salle de garde, pour revenir un bon moment plus tard, la mine rogue.

Tu peux venir, Sa Majesté te recevra, mais le loup reste ici.
 
Penaud, Jack reçut l’ordre de se coucher dans un coin et ne pas faire de foin. On escorta Alpha le long d’un dédale de couloirs, lui donnant l’opportunité de faire une rapide reconnaissance des lieux.  L’extérieur démentait la modernité des lieux parcourus. La présence d’éclairage électrique le surprit agréablement, le laissant deviner aisément que le reste des installations devaient être bien plus confortables que tout ce connu jusque-là. On le mena à une grande salle où un personnage barbu le scruta des pieds à la tête d’un regard perçant qu’il soutint sans se gêner jusqu’á ce qu’un des gardes outré n’intervienne.

Incline-toi face à Sa Majesté Henri IV, roi de France et de ce royaume.
 
Il se contenta d’adresser au roi un sec hochement de tête sans baisser les yeux. Sa Majesté ne se vexa pas de ce manque de respect, quelque chose en cet inconnu lui disait qu’il avait affaire avec un homme peu commun.

Qui es-tu ?
 
Je suis Alpha 247, Ayerling de la Fédération Coloniale au 25ème siècle après votre Christ.
 
Intéressante manière de tourner cela, je dois supposer que tu n’as donc ni Dieu ni loi.
 
De Dieu, non, de loi, oui !
 
Tu as assuré à mes hommes connaître un de mes hôtes. Si tu le connais, lui, tu dois forcément savoir qui l’accompagne.
 
Je le sais, en effet. Nous avons tous travaillé ensemble à la confection de l’aérostat qui les a sans doute menés jusqu’ici.  Un conflit de principes nous a obligés à nous séparer.
 
Nous allons voir cela dans un moment.
 
Et pour voir, il vit. Les quatre de ses hôtes qui se présentèrent à son appel ne manquèrent pas de reconnaître le nouvel arrivant ce qui ne signifia pas que ces retrouvailles les réjouissaient. Que du contraire. Si les regards avaient pu tuer, l’homme du 25ème siècle  serait tombé raide mort face à eux mais au lieu de cela, il resta là, impassible, indifférent à tant de hargne concentrée. En les ignorant,  l’Ayerling se tourna vers le Roi.
 
Vous êtes le maître d ces lieux et c’est à vous que je m’adresse : j’ai besoin de faire une demande à votre Pierre pour pouvoir mettre ma femme à l’abri de cet hiver soudain…
 
Une exclamation d’incrédule surprise l’obligea à s’interrompre pour faire face au Quatorzième du Nom qui le dévisageait, l’œil étincelant.
 
Oui, Louis, il s’agit bien d’Isabel. J’ai suivi le conseil de Sissi et ai fini par la retrouver et maintenant, il me faut de l’aide pour la sauver de nouveau.
 
Le roi Henri ne semblait pas incommodé par les interruptions de Louis, mais plutôt amusé par tant d’ardeur. Il le laissa poursuivre l’interrogatoire à sa guise, ce que le 14ème du nom ne se priva pas de faire.
 
J’assouvirai toute votre curiosité le moment venu mais là, le temps presse…Isabel se trouve dans une caverne à 21 km d’ici…Oui, je les ai parcourus en pleine tempête, Louis…je suis un Ayerling, tu devrais le savoir…
 
Combien de temps as-tu mis pour venir jusqu’ici ?, s’intéressa le roi Henri.
 
Je me suis mis en chemin depuis l’aube, Sire. Je suis un soldat spécialement entraîné pour affronter toute classe d’épreuve.
 
Sacrebleu…tu ferais une fameuse recrue…couvrir cette distance en si peu de temps et par cette intempérie…faudra que j’y pense !
 
Alpha se fichait de ce que le barbu pourrait penser de ses talents, les questions de Louis l’agaçaient tout en comprenant leur légitimité. Achille ne pipait mot, se limitant à écouter. Hélène le dardait d’un regard peu amène alors que Sissi semblait émue en demandant des nouvelles d’Isabel.
 
Elle va bien…tu pourras le constater par toi-même si je réussis à la ramener à temps.
 
Entre ceci et cela on tournait en rond sans arriver à rien. Le Roi suivait le manège d’un œil amusé mais finit par trouver le bon mot de la fin.
 
Impossible partir à cette heure déjà tardive. Demain, soldat du futur, tu pourras faire ta demande à notre Autel mais il faudra avant me jurer allégeance. Tu me serviras loyalement et je mettrai tout de ma part pour que ta femme soit sauvée.
 
*Quoi ? Il manque pas de toupet, celui-là !*
 
On aurait entendu une mouche voler. Alpha se figea un instant avant de dévisager le roi d’un œil mauvais.
 
Désolé, Sire mais vous ne pouvez pas m’exiger cela.  Vous mettez un prix pour votre aide ? Disons que le besoin impose mais sachez que je suis mon seul maître. Si vous le voulez ainsi, je peux partager mes connaissances avec vous pour un certain temps, après lequel, Isabel et moi poursuivrons notre chemin.

Le roi eut un haut de corps, les gardes firent un pas en avant avec leurs armes enclenchées. Alpha ne broncha pas, personne n’osa mettre en doute le fait qu’il fut vraiment furieux.

La fine diplomatie de ce cher Louis mit définitive fin à la conversation, il devait avoir un grand ascendant sur le maitre de céans qui ordonna à des domestiques qu’ils emmènent Alpha dans une des chambres d’hôtes pour lui permettre de se rafraîchir et se changer avant d’assister au baquet du soir.

Si cela ne vous dérange pas, je voudrais avoir mon loup avec moi. C’est mon plus loyal ami.
 
Suffit d’un claquement des doigts royaux, quelques minutes plus tard un Jack euphorique le rejoignait. Ensemble, ils prirent le chemin pour leurs quartiers de nuit. Comme supposé, le confort dépassait toute imagination. C’en fut trop pour Alpha qui ressentit d’un coup toute la fatigue de la journée et celle accumulée depuis un temps.  À peine s’il se donna la peine de prendre une douche d’eau délicieusement chaude avant d’aller s’écrouler comme une masse dans ce lit qui tenait du paradis.

Un peu plus tard, le domestique venu le chercher pour l’escorter au banquet revint forfait en assurant qu’il n’y avait puissance humaine qui put réveiller le dormeur. Une âme charitable conseilla de lui laisser un plateau garni dans sa chambre et de nourrir le loup.

Le lendemain à l’aube, il fit ses dévotions à la Pierre qui se montra généreuse. Henri  lui avait assigné une escorte…Il voulait s’assurer de le voir de retour !
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